…À PRIER…

Étape 83 / Samedi 18 juillet / Depuis A Salceda jusqu’à Santiago de Compostelle / 23 km

 

Hier, c’était une fête en arrivant au lieu de ma dernière étape avant Compostelle : les Galiciens me semblent très épicuriens. On aime les banquets en plein air, flonflons et musette, pétards et feux d’artifice, et le vin coule à flot. C’est comme si on fêtait déjà mon arrivée, alors que j’ai encore une dernière étape à franchir. Au petit matin, je me mets en route, plein de reconnaissance d’avoir fait autant de chemin jusqu’ici. Je rends grâce. Je prie que de tels moments de simple bonheur se renouvellent dans ma vie.

 

Mais qui donc suis-je en train de prier ? Suis-je en train de prier vraiment quelqu’un, ou bien suis-je en train de prier juste pour voir si cela peut encore continuer à servir ? Prier parce que Dieu est ? Ou bien prier juste parce que prier fait du bien ? C’est, paraît-il, quelque chose que même les athées sont prêts à faire quand marins au bord du naufrage, ou alpinistes prêts à dévisser, ils n’ont plus que cette solution instinctive pour croire pouvoir s’en sortir. Paradoxe ironique : la prière naturelle !

 

Le Dieu des Écritures, inaccessible, souverain, indécomposable, unique, à respecter comme tel est-il le destinataire de mes prières ? Lui qui m’a fait sentir sa subtile présence par de subtils effleurements de beauté ressentie et de petits miracles bien vécus est si lointain, si imperceptible. Il me faut ou bien décider, oui ou non, qu’Il existe et qu’il est de Sa nature de ne se faire entendre que très délicatement. Il est comme le bruit léger d’un souffle, un frémissement de silence, un doux silence, celui même que ressentit Élie dans la caverne de Moïse sur le mont Horeb (1 Rois 19 : 9-15).

 

J’accepte par ma propre décision cette volonté d’un Dieu éminemment discret, l’humilité même mais qui est toujours disponible comme dans un tout léger souffle d’air. C’est pour moi le vrai Dieu. Il permet à tout moment de se tourner vers son Esprit, Son souffle, si on Le recherche par la prière et le silence comme le font les ermites et les contemplatifs. C’est aussi ainsi que Yeshoua le recherchait, se retirant souvent loin de ses compagnons pour prier, et écouter vibrer en lui ce qu’il appelait la volonté de son Père du Ciel. Yeshoua (Jésus) fut élevé au ciel, dit notre Credo, comme fils unique chéri sorti des affres de l’enfer. Par Lui, en Lui, avec Lui, notre être, en tout cas l’essence de ce qui peut nous distinguer du trivial (notre âme !) peut aussi survivre à la mort, et ça, j’ai besoin de le croire !

 

Guy Trainar décide, lui, que son Dieu « sauveguide » n’est pas vraiment ce genre de dieu car, dit-il, « son impersonnalité l’en déjuge ». Pourtant il a de temps à autre l’impression qu’il lui accorde des faveurs et doute que le pur hasard lui en accorderait autant ! S’étant éloigné au fil de ses étapes du discours religieux auquel moi-même je continue à adhérer dans sa partie essentielle (celle d’un Dieu trinitaire mystérieux mais efficace), Guy a trouvé consolation dans le fait qu’il n’a point vu de changement dans la réalité qui l’entoure. Aussi se demande-t-il avec justesse : comment son besoin de prier pourrait-il s’adresser à « la réalité de l’univers » ? Il passerait alors d’une illusion à une autre, lui semble-t-il …

 

Il pense que ses prières peuvent influencer d’autres consciences par des voies mystérieuses qui les relient. Mais il s’affirme convaincu que si une météorite menaçait de percuter la Terre, même toute l’humanité priant d’une même voix ne pourrait en dévier la trajectoire. En somme, il croit un peu, mais il ne croit pas passionnément, oserai-je dire ! Il se refuse en tout état de cause à réciter les prières institutionnelles de l’Église. Il ne veut pas d’expressions allant contre sa pensée « telles : seigneur tout puissant, créateur, résurrection de la chair, … pas même berger ».

 

Guy ressent très fort sa possibilité d’être totalement libre de tout carcan, trouvant absurde de prier par exemple pour demander plus de foi ! Il hésite même à prier pour demander une quelconque faveur pour quelqu’un d’autre si cela peut entraver d’autres libertés. Il se demande même si ce n’est pas lui-même qu’il doit prier : « prier d’évoluer, de s’améliorer, de se dépasser, de se lier à autrui et au monde ». Voilà qui est intéressant, noble même, mais qui ne me satisfait pas personnellement, car je ne vois pas dans ce degré d’indépendance un facteur de rassemblement des êtres humains autour d’une bonne cause commune. Serait-ce en fait le début de l’élaboration d’une nouvelle tour de Babel (Genèse 1 : 1-9) ?

 

Je crois que c’est un vœu pieux – si j’ose dire – que d’espérer que des prières humaines culturellement discordantes puissent s’élever à l’unisson du monde, au delà de leur portée utile individuelle, dans un universel épanouissement porteur de bonheur pour tous. Même si ces prières cherchent à s’aligner, comme le propose Guy, « sur les lignes directrices de la dynamique de l’univers » !

 

Me voici arrivé au Monte de Gozo, dans les faubourgs de la ville de Compostelle. Une statue du pape Jean-Paul II rappelle le vibrant message qu’il adressa le dimanche 20 août 1989 à l’occasion de la quatrième Journée Mondiale de la Jeunesse. Il y rappela ce qu’annonçait l’apôtre Paul qui perdit la vie pour sa foi, comme d’ailleurs l’apôtre Jacques que l’on vénère à Compostelle : « Oui, par le chérissement qui m’a été donné, je dis à chacun de vous de ne pas s’exalter en pensée plus qu’il ne convient, mais de penser avec sagesse, selon la mesure d’adhérence départie à chacun par Elohîms. » (Romains 12 : 3 ; traduction de Chouraki).

 

Ce même texte dans la version de l’Église Catholique Romaine se lit aujourd’hui comme suit : « Par la grâce qui m'a été donnée, je dis à chacun de vous de n'avoir pas de lui-même une trop haute opinion, mais de revêtir des sentiments modestes, selon la mesure de foi que Dieu a départie à chacun. »

À chacun de prier selon sa mesure d’adhérence donc !

 

 


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