…INTIMEMENT…

Étape 82 / Vendredi 17 juillet / Depuis Boente jusqu’à A Salceda / 22 km

 

Dynamisé par la perspective d’arriver samedi à Santiago pour y fêter dimanche la fin de mon pèlerinage, je me lève tôt pour accomplir mon avant-dernière étape. Depuis le centième kilomètre avant Compostelle, des bornes jalonnent maintenant chaque kilomètre du camino. Elles me donnent la distance restante jusqu’au but, ce qui rend ma progression vers la dernière borne de plus en plus excitante. C’est un compte à rebours agréable à observer : 45 km, 44 km, 43 km, etc.

 

Je traverse de très belles forêts aux essences variées : des châtaigniers, des chênes, des eucalyptus. Entre les forêts, ce sont des pâturages d’où de fiers taureaux me regardent passer d’un œil serein et curieux, me dévisageant presque comme s’ils voulaient connaître mes pensées intimes. Les pèlerins n’arrêtent pas de passer sur les sentiers qui bordent leurs pâtures et ces encornés ont pris l’habitude de voir des marcheurs inconnus, mais ils les examinent quand même avec la plus grande attention !

 

Et moi, je réexamine ce qui reste de la statue divine à laquelle j’ai voulu donner mes coups de burins, comparant ce qu’il me reste à ce qu’il reste à celui qui m’a entrainé à faire ce pèlerinage virtuel. Je n’ai plus que deux jours pour affiner ce qui reste sur mon socle. Guy reconnaît qu’il ne reste pas grand chose à sa sculpture : il a franchement entaillé dans le côté tendre de ce qui lui restait de la foi de son enfance. Au point qu’il ait peur d’avoir « jeté le bébé avec l’eau du bain » !

 

Guy note avec perspicacité qu’aux premiers temps du monothéisme, c’était la Parole qui primait. L’écriture sur tablette de cire ou sur parchemin pouvait alors si facilement s’effacer. On copiait et recopiait sans cesse les précieux manuscrits des Écritures. Certains des Anciens estimaient plus facilement le passé devant eux, car connu. L’avenir était comme derrière eux, car inconnu. Aujourd’hui, on dit plus facilement que les paroles s’envolent et que les écrits restent. La question reste plus que jamais de savoir jusqu’à quel degré les Écritures présentées sous forme de Parole sont vérité absolue ou si certains degrés divers d’interprétation sont permissibles, et si c’est le cas, quel degré ?

 

Traditionnellement, on loge chaque saison entre un équinoxe et un solstice, mais le 1er juin ne semble-t-il pas généralement plus estival que le 15 septembre ? Or, la première date est au printemps, la deuxième en été. De même, le 1er décembre (encore en automne) semble souvent plus hivernal que le 15 mars (encore en hiver). Ne faudrait-il pas plutôt voir les saisons comme à cheval autour des équinoxes ou solstices ? Par cette image, Guy veut montrer que des vérités longtemps encrées et établies sont souvent plus le résultat de conventions qu’autre chose. En serait-il de même du spirituel ?

 

Avec le changement de perspective que son cheminement l’a amené à faire dans le domaine du spirituel, Guy a constaté combien se sont décalés les ancrages de la foi auxquels il s’était cru fermement arrimé dans ses plus jeunes années. À tel point qu’il préfère utiliser le mot « adhésion » que le mot « foi » quand il analyse ce à quoi il s’attache encore. Il préfère le mot « ardeur » au mot « ferveur » pour qualifier la détermination qu’il a encore à s’attacher à ce qu’il croit.

 

Il « adhère ardemment à la vision d’une dynamique anonyme, qui informe tout, depuis l’expansion de l’univers jusqu’à l’émergence du vivant, dans un épanouissement d’énergie tout à la fois matériel et spirituel ». Il trouve dans une telle dynamique la capacité de guider sa pensée consciente et la sauvegarder, et cela lui apporte plus de joie que la religion qui pourtant s’efforce de dire la même chose. Cet acte d’adhésion lui permet d’éviter les notions conceptuelles d’absolu, de transcendant et de divin. Il pense que puisqu’elles dépassent l’entendement, ces notions sont vouées à l’épuisement.

 

Or, tout en reconnaissant de la pertinence à la vision de Guy qui essaye d’utiliser des termes plus scientifiques ou en tout cas plus naturels que ce qu’enseigne le catéchisme, je remarque pour ma part au bout de son Credo le mot « spirituel » ! Guy ne dénie pas que quelque chose dans cette dynamique qui ne cesse d’informer dépasse la réalité. C’est pour lui comme pour moi une réalité mystérieuse qui, comme il le dit si bien « peut-être ne fait rien, mais sans laquelle rien ne peut être fait ».

 

Cette même réalité frappe à l’intime l’aborigène d’Australie dans ses mythes de la création de la nature qui l’entoure. Elle frappe aussi sans doute bon nombre de scientifiques qui butent contre le mur d’une question non résolue. Elle me frappe tout autant en mon intime, et je crois que d’accepter le mot « esprit créateur » comme origine de cette réalité n’empêche aucunement d’utiliser les notions abstraites, conceptuelles et spéculatives que la religion utilise pour Lui rendre honneur. Absolument ! Divinement ! Et de façon transcendante !

 

 


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