…ÉDIFIANT…
Étape 81 / Jeudi 16 juillet / Depuis Palas de Rei jusqu’à Boente / 24 km
De plus en plus de pèlerins, partout sur les chemins ! En quête de calme pour finir de mettre en ordre l’édification que pourrait me procurer ce pèlerinage, j’essaie des voies alternatives, je contourne les petites villes et gros bourgs pour ne passer que par villages et hameaux. Ces détours temporaires pourraient donner un petit sentiment de culpabilité à certains : c’est sortir de la voie qui a été fléchée par les associations qui ont voulu faire du Camino un chemin relativement facile et toutefois plaisant vers Santiago de Compostelle. Mais moi, je n’ai pas crainte de sortir des sentiers battus, surtout pour méditer tranquille !
De même, en matière de religion, comme beaucoup qui le font, c’est évident, je prends et je laisse ! Certains rituels ne m’apportent rien car je ne les comprends sans doute pas assez. Par exemple, certains de ces rituels conduisent les foules à chanter. J’ai entendu des paroissiens et paroissiennes bêler tous en chœur comme des moutons que des chiens bergers rassemblent en fin de journée dans les alpages pour les ramener au bercail où ils passeront une nuit mieux protégés des loups. Quand l’effet de foule amène à des chants ainsi discordants, je me sens plus agacé qu’édifié ! Il me faut alors deux fois plus de courage pour retourner dans ces paroisses où ces bêlements plutôt que des chants mélodieux font hélas trop régulièrement partie du rituel de l’eucharistie partagée.
Je fais aussi du shopping spirituel en libre service par rapport à certaines façons d’imposer des traditions dans la hiérarchie de l’Église Catholique Romaine. Ainsi, je ne comprends pas qu’on refuse le mariage aux prêtres, ni qu’on refuse l’ordination aux femmes. On sait que Shim‘ôn, dit Petros (traduction de Chouraqui), plus souvent appelé Simon Pierre, fut le premier apôtre et le premier chef de la communauté chrétienne naissante après la mort et la résurrection du Christ. Pierre avait une belle mère (Matthieu 8 : 14), et cela n’a pas empêché Yeshoua (Jésus) de lui faire confiance (Matthieu 16 : 18) pour mener le petit troupeau d’adeptes qui lui fut confié. Et il le fit remarquablement bien, sans qu’on sache quelle influence son épouse ou sa belle mère guérie par Yeshoua eurent sur lui !
On sait aussi que la Samaritaine que Jésus avait rencontrée au puits de Jacob ameuta des gens de son village et leur fit croire à la venue du Messie (Jean 4 :39) ! Comme quoi une femme pouvait aussi en ces temps-là annoncer la bonne nouvelle ! D’ailleurs, plus tard, il semble bien que dans sa lettre à la communauté chrétienne de Rome, l’avorton de Dieu, Paul, salue en Junia une femme consacrée (Romains 16 : 7). Dès les premiers temps de la communauté chrétienne, on a retenu le nom des « Pères » de l’Église. Pourquoi n’a-t-on pas retenu le nom des « Mères » de l’Église, avec la notable exception de Myriam (Marie), la mère de Yeshoua (Jésus) ?
Pourquoi a-t-il fallu que, parmi ces Pères, il y ait une minorité seulement qui puisse décider de faire des choix parmi tous les écrits à propos de Yeshoua après sa résurrection ? Ils ont retenu la quantité limitée des textes qui constituent aujourd’hui le Nouveau Testament dans la bible officielle de l’Église Catholique Romaine ? Pourquoi certains écrits de la bible des Juifs ont été retenus et d’autres ne l’ont pas été dans ce que l’on appelle l’Ancien Testament ? Certains écrits étaient-ils moins édifiants que d’autres, au point de mériter le qualificatif d’ « apocryphes » (ce qui veut dire écrit dont l’authenticité n’est pas établie) ? Les Pères de l’Église faisaient-ils eux aussi du shopping spirituel ? Sûrement !
Dans ces textes, il y avait probablement des passages qui desservaient leur propre vue du christianisme naissant, alors ils les rejetaient, et ne retenaient pour leur traduction en latin que ceux qu’ils considéraient comme textes « canons » pour leurs desseins. Ce sont les écrits canoniques, ou deutérocanoniques (admis secondairement). Or, il est intéressant de noter qu’au moment de la réforme, les « Protestants » ont choisi d’en éliminer certains : la bible protestante, par exemple, a rejeté l’écrit de ben Sira, connu aussi sous le nom de Siracide ou d’Ecclésiastique. Pourtant, de mon point de vue, c’est un texte plein de sagesse, où je trouve de nombreux passages capables de m’édifier.
Ainsi, comme l’auteur du livre « D.I.E.U. sauveguide ? » qui m’inspire ce pèlerinage virtuel (et dont je ne connais d’ailleurs pas encore la conclusion), j’hésite moi aussi à tout accepter. Ce qui est avancé dans la Bible officielle de ma tradition religieuse comme étant porteur de « vérité vraie » avec un grand V doublement épais, « VÉritÉ », requiert un lent et patient examen, et une adhésion réfléchie. Certains textes sont beaucoup plus édifiants que d’autres, aucun doute. Parmi ceux-ci, les quatre évangiles retenus par les Pères de l’Église, ceux de Mathieu, Marc, Luc et Jean sont pour moi en tout cas, et de loin, les plus édifiants !
Pour Guy Trainar, le confortable verni religieux qui, au fil des années, l’avait un peu construit s’est finalement craquelé. Mais au fil des chapitres de son livre dont nous avons vu les titres jusqu’ici sous forme d’étapes, Guy écrit qu’il se sent plus responsable de lui-même, plus uni, plus solide. Il trouve plus valeureux de faire le bien parce qu’il a choisi de le faire plutôt que par la peur d’un Dieu gendarme invisible qui le menace. Il voit de plus en plus d’harmonie dans la nature, depuis la fleur qui s’épanouit jusqu’aux galaxies qui en font autant. Il ne voit plus le monde comme objet d’une création, mais plutôt comme sujet d’un devenir dont il fait partie, se situant en son centre. Là, au lieu de joindre ses mains il préfère déployer ses ailes en sachant que : « On ne peut commander au vent, mais on peut laisser la fenêtre ouverte ». Et il fait référence à de très belles citations du genre : « La vie est un long poème que l’on écrit soi-même et dont moi seul peut en faire la ponctuation ».
Pour moi, je ne vois pas de contradiction à continuer à accepter que croire en Dieu soit un acte complètement libre et non forcé. La révélation de ce Dieu peut grandir en moi par étapes sans que tout soit figé une fois pour toute. Ma connaissance de Dieu augmente au fur et à mesure que je cherche à Le comprendre. Je sais de plus en plus que l’on ne peut prouver l’existence de Dieu, mais je veux bien laisser ma fenêtre ouverte à ce que je ressens généreusement souffler venant de Lui : son Esprit. Je crois que cela est inhérent à la liberté qui nous est donnée, à nous autres êtres pensants.
Mais je ressens aussi que si j’admets Son existence, et que je rentre avec candeur dans l’exercice d’essayer de définir ce qu’est Dieu, ma tradition religieuse s’appuyant sur l’Ancien et le Nouveau Testament de la Bible me convient généralement bien, et aide à mon édification personnelle. J’aime à mieux comprendre aussi la complexité et la beauté de l’univers, détaché de Dieu et pourtant reflétant sa conception.
Je me rends compte de plus en plus de la possibilité donnée à l’humain d’intervenir positivement ou négativement dans des processus jusqu’à peu considérés comme « naturels ». C’est comme si Dieu associait l’être pensant à son propre génie, initialement seul créateur, en lui donnant de plus en plus la possibilité d’être coresponsable de ce que peut devenir notre planète. L’humain est encore beaucoup plus proche, historiquement parlant, de la préhistoire que de la modernité.
Mais aujourd’hui déjà, les hommes peuvent rendre la Terre inhabitable par une conflagration de missiles nucléaires. Et inversement, ils peuvent aussi empêcher la famine et donner des conditions de vie décentes à tous ceux qui sont aujourd’hui ignorés par la majorité des nantis. Demain, les humains pourront sans doute améliorer leurs chances de survie en s’établissant sur Mars. Notre « noosphère » s’étendra alors au delà de notre propre planète. Atteindra-t-elle dans un futur plus lointain, pourquoi pas, l’échelle de notre galaxie ?
Et plus tard encore, pourquoi pas, la noosphère s’étendra-t-elle de manière intergalactique ? Avant d’en arriver là, il faudra qu’ « on » nous « sauve » beaucoup, et qu’ « on » nous « guide » beaucoup, car combien de faux pas – non édifiants ! – ne sommes nous pas aussi capables de faire en attendant ? Serons-nous capables de nous mettre d’accord au moins sur la possibilité d’admettre la nécessité de ce « on » indéfini dans le rôle de l’Esprit « sauveguide » ? L’exercice est délicat, en voici le défi, je ne suis pas sûr que Guy et moi-même arriverions à nous mettre d’accord sur ce point !