PAROLE…
Étape 78 / Lundi 13 juillet / Depuis Triacastela jusqu’à Sarria / 19 km
Ô bienfaisante Galice, avec tes verdeurs rafraîchissantes, tes ondulations apaisantes, ta campagne faite de mosaïques de pâturages, de petits champs et d’agréables bosquets, entrecoupées de haies refuges d’oiseaux et de ruisseaux attirant les libellules, tu plais à mon cœur ! Et les villageois auprès de leurs greniers extérieurs sur pilotis (hórreo galego, en galicien), pleins des grains de la dernière récolte, nous lancent avec bonheur ce chaleureux « Buon camino ! ». Cette salutation nous redonne de l’ardeur, à mes compagnons de route et à moi même. Nous les remercions d’un haut et clair « Muchas gracias » (merci beaucoup), puis sifflotons avec vigueur notre air de marche entraînant. Nous voilà au diapason de cette bonne parole qui nous est ainsi adressée : « Oui, aucun doute, le chemin est bon ! »
Dynamique de la parole ! Dynamique de mots à la fois bien familiers et encourageants, à la fois souhaits et réalité de la beauté du segment de temps dans lequel nous évoluons ! Le Logos, le Verbe ! « Entête, lui, le logos » dit Chouraqui ce qui se traduit plus généralement par « Au commencement était le Verbe ! » (Jean 1 : 1) Quelle étrange affirmation censée illuminer le coup d’envoi de l’univers ! D’où vient la saveur fondatrice et mystérieuse de cette affirmation définitive exprimée avec autant d’aplomb ?
D’autres traductions plus récentes du prologue de l’Évangile de Jean utilisent la traduction « Parole » plutôt que « Verbe ». Parole est plus facile à comprendre, mais cela enlève la dynamique grammaticale centrale du mot verbe qui est au cœur de l’action dans toute phrase. Sans verbe, aucun état ni action ne sont communiqués par la parole. Aucun sujet ou complément du verbe ne peuvent alors être reliés. Si je dis « Viens ! », je transmets à quelqu’un par ce verbe l’idée d’un déplacement dans ma direction. S’il y a plusieurs personnes, je dois spécifier qui est le sujet de mon invitation : « Viens, Dominique ! » De la même manière qu’il a fallu un sujet et un verbe pour spécifier l’apparition de toute chose, par exemple : « Une lumière sera ! » (Genèse 1 : 3 – Traduction Chouraqui)
Le mot « mythe » dans son sens premier signifiait aussi « parole » ou « récit » avant qu’il ne dérive dans son sens actuel de « fiction », et c’est dommage car son sens premier était aussi évocateur d’un acte, d’une réalité. Le mot « λόγος » (logos) grec, terme utilisé à l’origine dans l’Évangile de Jean, avant de prendre une connotation religieuse, avait simplement le sens profane de « loi de l’être, raison immanente et nécessité universelle, au delà de l’homme ». C’était le contraire du hasard au moment de faire un choix pour signifier que « quelque chose est parmi tout ce qui pourrait être ». Ce mot Logos des Grecs préserve le mélange de tout qui pourrait être, mais fonde à partir de l’épars une réalité complément indéniable et unique, capable de dynamisme.
Par sa nature qui sous-tend l’action, le mot « Verbe » est plus proche du mot Logos que le mot « Word » utilisé par les Anglo-saxons dans leurs premières traductions bibliques. Or « Word » se traduit par « Mot » en français, et ce substantif est de nature plus statique que ne le serait le mot anglais « Verb ». Le mot « Logos » convient au sens mythique et cosmogonique que désirait l’apôtre Jean pour exprimer l’acte originel, l’irruption de l’univers à partir du néant. Il traduisait là ce que Dieu accomplissait par sa parole. Ce mot logos était déjà utilisé dans certains psaumes dans la traduction grecque (faite en Égypte) de l’Ancien Testament. Cette traduction est appelée la Septante parce que la tradition veut que ce furent 72 sages qui la réalisèrent à Alexandrie vers 270 avant Jésus-Christ à la demande de Ptolémée II.
L’acte originel de l’apparition du monde était exprimé par des mots différents sous les cieux asiatiques : dans l’Empire du Milieu, c’était un mot chinois qui se traduit mieux par « souffle », et chez les Indous un mot dont la traduction la plus proche est le mot « silence ». Toutes ces nuances ne peuvent qu’enrichir la tentative que nous avons tous d’interpréter la signification suprême de l’origine primordiale. Leur convergence, néanmoins, est suffisamment grande pour en espérer un jour une acceptation commune. Acceptation qui tarde à venir ! En attendant, verbe ou parole nécessitent quelqu’un pour les prononcer et redonnent un visage de personne à Celui qui en est l’auteur, aubaine que les religions naissantes n’ont pas manqué de saisir.
Ainsi, le Verbe est devenu Dieu. Puisque Dieu « dit », Il affirme ! Et ce qu’Il affirme se fait aisément « verrouiller » par les propagateurs de la Bible. Ce n’est plus V pour Verbe, c’est V pour tout ce que certains veulent « Vérouillé » ! Mais si je refuse l’angle anthropomorphique à ce Dieu qualifié de Verbe suprême, si ce Dieu n’est pas une personne, alors il n’y a plus de volonté de pouvoir, plus d’intention coercitive : tout s’écroule comme ce tas de cailloux répandus au pied de ma statue.
De toute façon, une statue qui ne représenterait pas une personne est d’autant plus difficile à visualiser, surtout quand je parle de « visage » ! Et petit à petit j’ai été amené à contourner cette difficulté en ne donnant à ma statue qu’une forme spéculative. Vue de par derrière en la contournant, ma statue devient plus « virtuelle », comme ce pèlerinage d’ailleurs. Et maintenant, je peux imaginer dans son visage les traits de l’information ! Information au sens élémentaire, au singulier et sans majuscule, moins redoutable que le mot Verbe ou le mot pluriel Élohims des Hébreux !
Seul dilemme, c’est que si je veux continuer à penser que la prière m’est utile, alors que je peux concevoir de prier avec ferveur ce qui a été défini par Jean comme étant le Logos, de quelle utilité serait une prière adressée à l’ « information » ?