…UN DIEU OMNISCIENT ?
Étape 77 / Dimanche 12 juillet / Triacastela
Quelle chance j’ai de pouvoir me poser dans un village où les maisons sont bien construites de pierre taillée, où les pèlerins ne font que passer et où j’ai toute la journée du dimanche pour me retirer à l’écart pour faire le point sur mes réflexions de la dernière semaine de 178 km :
« Informer la matière en mémoire d’une vie consciente détaillant un Dieu omniscient ? »
Jusqu’ici, de tous les profils que mes réflexions m’amenaient à envisager pour la statue virtuelle que je Lui construisais en cheminant, celle d’un Dieu « sauveguide » et esprit me semblait la plus appropriée. Puis-je maintenant tenter d’accorder à ce visage celui d’un Dieu omniscient ? Il est sûr qu’omniscience et esprit, dans le sens que je lui ai donné d’être comme une source d’inspiration surgissant dans ma conscience, feraient plutôt bon ménage. Toute l’information de l’univers serait capable d’y porter du fruit.
Aussi, il est facile de comprendre qu’en essayant de relier ces entités intelligibles que sont la vie, la mémoire, la conscience, l’information et l’esprit, on soit arrivé à concevoir comme lien un seul dieu omniscient, sinon plusieurs. Ces divinités ou cette divinité Unique seraient capable de tout régenter, s’immiscent dans les plus replis les plus secrets des humains. Tout est observé, tout est enregistré, tout est connu, et la sagesse populaire sait en témoigner : « Un bienfait n’est jamais perdu ! » Ou bien : « Un méfait est rarement sans conséquence ! »
De là à affirmer un pouvoir intentionnel gouvernant une telle omniscience, c’est encore une fois peut-être trop faire la part belle à des autorités religieuses en mal d’assujettissement et donc très intéressées à scruter les consciences. Mais si j’envisage d’un côté pour le Dieu des Écritures le profil d’une omniscience moins tyrannique et de l’autre côté le profil généreux de l’esprit, la statue que je sculpte pourra prendre plus simplement les traits d’un Dieu « sauveguide ».
En formant ainsi les traits de ce visage, mon burin a donc allègrement laissé concassé au pied de la statue un tas de cailloux. Ces éclats consistent surtout des autres attributs que j’avais considérés dans certaines étapes. Il étaient largement humains plutôt que divins, et donc bien trop fragiles. Ces attributs foisonnaient dans les mythologies mésopotamiennes, égyptiennes, grecques et indoues. À un moindre degré, ces mythes ont influencé certains passages des religions du Livre avec des personnages héroïques, capables de faits extraordinaires (Noé), de vivre de longues années (Mathusalem), ou même d’êtres immortels (Énoch).
Plus épurée, dégagée d’irréalités poétiques et charmantes venues d’orient, la statue au visage de « sauveguide » se dégrossit de plus en plus pour ne garder que les traits que mon intuition approuve et que je trouve les plus rationnels. En essayant de me tenir hors du discours religieux, je ressens de plus en plus dans des réalités physiques de la nature à la fois une force et une finesse d’interaction étonnante. Je réalise que les scientifiques n’ont encore que des moyens d’observations trop grossiers, autant sous l’angle cosmologique que sous l’angle microscopique, pour en rendre compte de manière purement « matérialiste ». C’est pourquoi j’ose avancer la notion d’esprit comme lien et moteur de ce qui se passe dans l’univers, et pour en expliquer la grandeur encore inexpliquée.
Je crois que Teilhard de Chardin, avec le concept de la noosphère, espace circumterrestre où se répartit et se concentre la pensée humaine a été un pionnier dans cette façon d’associer l’esprit à l’approche scientifique. Mais pourquoi circonscrire la noosphère juste à la terre, et pas au delà ? Pourquoi cet espèce d’entonnoir vers le point qu’il appelle Oméga vers lequel convergerait tout le devenir universel ? Pourquoi, au contraire, ne pas voir la noosphère évoluer avec l’expansion de l’univers ? Cela la rendrait divergente, ouverte, arborescente : tout le pensant continuerait à se développer et à évoluer tout naturellement dans une profusion de possibles qui s’actualiseraient sans cesse. Et « naturellement » signifierait « sans aucune volonté de la part de personne » …
Je ne suis qu’à une semaine de la conclusion de mon pèlerinage. Un pan de la statue s’est dévoilé avec le vocable « Dieu sauveguide » qui jusqu’ici m’a véritablement laissé indemne et m’a patiemment et gentiment inspiré. Avec un tel Dieu, toute la potentialité d’un devenir ouvert se révèle devant moi en me ménageant une grande liberté de conférer du sens à ma vie, tant que je me conformerai à l’harmonie de son épanouissement. Reste néanmoins le fait que ce vocable est sans doute toujours bien timide. Il est loin d’égaler la fougue entrainante de celui utilisé dans l’évangile de Jean sous le nom de logos, traduit difficilement par le mot Verbe. J’ai encore 7 étapes pour comparer ces vocables et peut-être mieux décider « Qui » puis-je vraiment prier !
Itinéraire depuis León jusqu’à Triacastela (11ème semaine).