…AVISÉE D’…

Étape 69 / Samedi 4 juillet / De Mansilla de las Mulas à León / 20 km


Revigoré par la sollicitude de mes compagnons de marche étrangers, j’ai réussi hier à atteindre un gîte confortable. Je me sens beaucoup mieux après une bonne nuit de sommeil. Mes ennuis gastriques sont terminés. Je n’ai plus qu’un ultime petit bout de plaine déserte à parcourir. Je vais arriver dans la cité de León dont j’anticipe avec un peu d’anxiété l’animation citadine plus brouillonne que ce que je viens de connaître ces derniers jours. Voilà ma dernière chance de réfléchir calmement, à la frontière entre le matériel et l’immatériel, entre le quelque chose qui semble surgir du néant.

 

Pourquoi ne pas reprendre la belle image du banc de poissons volants suggérée par l’auteur de D.I.E.U. sauveguide ? L’immatériel, c’est un peu ce qu’est l’univers marin pour un observateur perché sur le pont d’un navire traversant une mer chaude : la surface agitée de l’eau ne laisse rien entrevoir. Mais voilà que tout d’un coup surgit un vol de poissons volants !

 

Sortant d’un univers poissonneux (où le concept de voler fait partie du domaine virtuel), ils deviennent pour un temps de réels volatiles ! Nos « exocets » (c’est le nom scientifique des poissons volants) font surface et planent dans l’Endroit visible de l’univers de l’observateur. Il faudrait que notre observateur plonge de l’autre côté de la surface qu’il voit, dans l’Envers du miroir de l’eau seul visible depuis le pont, pour voir ces mêmes volatiles en l’état de poissons. Et encore, aura-t-il la chance de les voir ? Si oui, ce sera bien de façon aléatoire puisqu’à certains moments ces exocets sont dans l’eau, à d’autres hors de l’eau !

 

A quel moment ces êtres étranges sont ils encore poissons, et à quel moments sont-ils volatiles ? Pour quelqu’un de non averti sur le pont du navire, leur sortie de l’eau peut faire croire à une apparition spontanée d’oiseaux capables de planer sur plusieurs dizaines, voire centaines de mètres. C’est du réel surgi de l’irréel, quelque chose qui vous étonne là où ne vous vous attendiez à rien. C’est comme une étincelle qui débouche de rien sur quelque chose !

 

Cette image permet de bien imaginer la position du physicien quantique incapable de cerner l’origine de la matière. Il s’inquiète de l’apparition de particules sorties d’un champ énergétique où il ne prévoyait que de l’immatériel. Faut-il alors que notre scientifique invoque dans cette apparition un ordre originel déjà installé, une entité préexistante de laquelle émanerait une capacité créatrice ? Ce savant avisé reviendrait-il à se poser la question d’une volonté divine permettant la création ? Une telle question prouverait bien son aveu d’ignorance « savamment » déguisé !

 

Or accepter que la matérialité surgisse du néant conduit de nouveau à la plausibilité d’un « Dieu créateur ». Une telle volonté créatrice pourrait-elle émaner autrement que d’une entité capable de volonté, telle une personne ? Me voilà encore en dilemme, puisque j’ai déjà refusé à Dieu cette qualité de « Dieu personne » à l’étape 35. Quel autre plausible candidat puis-je trouver, capable d’un tel comportement ? Candidat matériel ? Candidat immatériel ? L’un comme l’autre est à considérer. Peut-être ni l’un ni l’autre, ou bien encore l’un et l’autre à la fois, comme dans un raisonnement que certains appellent tétravalent : vrai, faux, vrai et faux, ni vrai ni faux ! Vais-je enfin le trouver, cet ancêtre de l’œuf et de la poule qui leur est à la fois commun et différent ?

 

Voilà ce que propose avec malice Guy Trainar dans son livre cité plus haut : ce mystérieux candidat aurait pour nom « l’information ». L'information n’est pas strictement matérielle : plus on la partage, plus on s’enrichit. Mais elle ne craint pas un support matériel pour se laisser partager ! Quant à l’énergie qu’il faut pour la partager, elle va du considérable (imaginez les efforts faits par les hommes d’affaire, les publicitaires, les propagandistes et les idéologiques pour diffuser ce qui va leur servir) à très, très peu (telle l’annonce que vous trouvez au matin sur le coin de la table du gîte, celle que le café est « près », euh, je veux dire « prêt »). Sous le nom information, oui, je peux concevoir la poule, l’œuf, et même encore le coq et l’œuf à la coque, tous surgit du néant mais disant bien quelque chose à la fois de commun et de différent !

 

L’information est une, car si elle in-forme (un-forme ?) elle précise de façon matérielle en donnant forme à la matière : œuf, poule, coq. De façon immatérielle, elle donne « un » sens à la pensée : précéder, engendrer ; et aussi au son : caqueter, cocorico. De façon ternaire, elle est aussi matérielle et immatérielle : le code génétique (visible dans l’ADN) fera que la poule caquète et que le coq chante ! Mais l’information sait aussi être duale, à savoir que dans sa version matérielle, elle se dégrade de façon entropique, elle a tendance à s’effriter dans le désordre : à force de pondre des œufs, la poule multiplie les erreurs de code génétique jusqu’au moment où elle devient incapable de pondre.

 

Dans sa version immatérielle, de temps à autres, une de ces erreurs de code génétique va dans le bon sens, produit une mutation, et une nouvelle race de poules surgit qui pond plus d’œufs par an ! Une mutation puise dans le désordre pour augmenter l’ordre ! Dans les deux cas et en tout cas, il n’y aucun doute sur la continuité entre ordre et désordre qu’on aille de au premier au second ou vice versa !

 

Je ne peux résister à donner un autre exemple de l’information se dégradant de façon entropique : « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs » ! De l’ordre vers le désordre, c’est sûr : n’envisagez jamais de démolir une omelette pour reconstituer du blanc ou du jaune d’œuf ! Même si ce sont des œufs de paon ! … Tiens, tiens, voici León ! León ! (le cri du paon, bien sûr !).

 

 


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