…ULTIME…
Étape 67 / Jeudi 2 juillet / De Grajal de Campos à Bercianos del Camino Real / 17 km
J’étais bien content hier d’avoir fait une bonne partie de mon étape en partie dans la nuit, et d’arriver très tôt au bout de mon étape avant qu’il ne fasse trop chaud. Mais il a fallu alors une longue attente avant que ne s'ouvre le « refugio » (gîte) où je comptais faire, dans l’ordre, douche, lessive et sieste.
Quand ils trouvent porte close, les pèlerins alignent alors leurs sacs aussi près de la porte du gîte que le commande leur ordre d’arrivée. Puis ils vont faire un tour dans le village. Ou bien ils s’assoient ou se couchent à même le sol dans un coin d’ombre en attendant. Quand arrive enfin le responsable à l’heure d’ouverture, c’est celui dont le sac est le plus près de la porte qui s’enregistre le premier. Il fait tamponner à la date du jour son « credencial » (son passeport de pèlerin, qu’il montrera à l’arrivée à Compostelle pour prouver sa marche), il verse son obole, se réserve une couchette sur l’un des lits superposés, et se dépêche vers la douche et la buanderie pour laver corps et habits pleins de sueur.
Aujourd’hui, mon étape prévue étant plus courte, j’ai voulu traînasser. Je suis l’un des derniers à partir, et je le regrette vite : le soleil tape vraiment fort ! Je consomme énormément d’eau. Je remplis ma gourde aux fontaines des villages que je traverse. Et pour vraiment me rafraîchir, je remplis aussi mon chapeau d’eau, et d’un seul coup le retourne sur ma tête : c’est une douche froide mais revigorante ! Il faut savoir que dès que la température atteint plus de 40°C, il y a danger pour le corps humain. Et là, au soleil sur la Meseta, on atteint vite cette limite !
Me voici à penser aux limites ultimes des températures. La température interne du corps humain est en moyenne de 37°C. D’après l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM), le record officiel de la température la plus élevée jamais observée à la surface du globe s'établit à 56,7 °C et a été enregistré le 10 juillet 1913 à Greenland Ranch (Vallée de la mort), en Californie, aux États-Unis d'Amérique. On pense qu’il fait 15 millions de degrés au centre du soleil. On croit aussi que la température au moment du « big bang », était de l'ordre de 1032°C (10 à la puissance 32), donc 100 fois un million de millions de millions de millions de millions de degrés Celcius !
Si l’on va dans la direction inverse, le corps humain commence à prendre beaucoup de risques à partir de – 25°C. La température la plus basse jamais mesurée sur la Terre le fut à Vostok, Antarctique, le 21 juillet 1983 : elle était de – 89,2°C. La température de liquéfaction (le gaz devenant liquide) de l’azote est de – 196°C et il devient solide comme un glaçon à – 210°C.
Il est établi que la température ultime la plus basse est le Zéro Kelvin : 0° K = – 273,15 °C ! C’est la température à laquelle il n’y a plus aucune agitation thermique des molécules. On peut s’en rapprocher, mais il faut de plus en plus d’énergie pour y arriver. C’est comme essayer de se rapprocher de la vitesse de la lumière (voir étape 61), plus on s’approche de l’ultime, plus le gond de la porte résiste ! En 2013, les physiciens du Massachusetts Institute of Technology (MIT) ont été capables de descendre à moins de un « nanokelvin » : 0,5x10-9 K (un divisé par deux mille millions) !
Mais même à de telles températures infimes, je l’ai déjà évoqué, position et vitesse des particules deviennent incertaines : plus on connaît l’une, moins on connaît l’autre. Imaginez un banc de poissons volants que vous avez à peine le temps de voir surgir de l’eau. La seconde suivante ils ont déjà disparu, à tel point que vous vous demandez si vous avez rêvé ! Apparitions fugaces et énergétiques, comme la matière quantique, ces poissons particules sont quand même capables d’interaction, ne serait-ce que par la capacité de rester liés dans un banc dont la localisation de chaque élément est de plus en plus incertaine !
À l’opposé de ce microcosme quantique où tout est aléatoire et imprévisible, il y a le macrocosme cosmique, celui des astres, où tout est déterminé, localisé et calculable, même à très long terme. Par des calculs de masse, basés sur les lois de la cinétique et de la gravité, on sait combien de matière combustible il reste à brûler dans le soleil, et on peut prévoir quand il disparaîtra, dans 5 milliards d’années !
Ainsi, suivant à quel bout de l’échelle ultime des grandeurs on se trouve, on prévoit mieux (macrocosme) ou on constate que l’on ne peut savoir que de moins en moins bien (microcosme) ! Drôle d’univers que le nôtre : l’avenir est en partie prévisible si l’on possède la folie des grandeurs, en partie imprévisible dans la réalité aléatoire de l’infiniment petit !
Cet état d’ignorance ultime est en fait rassurant. Il y a une certaine immatérialité de la matière quand on cherche à démontrer ce qu’elle est vraiment, comme il y a une totale liberté de l’esprit qui empêche d’embrigader tout processus de pensée. C’est peut être agaçant de constater une limite ultime à notre savoir humain, mais en fin de compte c’est comme si la création n’était pas terminée et ne pouvait être terminée, laissant toujours de la place à l’espérance du possible ! Préféreriez-vous le carcan du contraire : une connaissance bornée du monde et l’ennui désespérant qui en découlerait ?