…OUVERT…

Étape 65 / Mardi 30 juin / De Población de Campos à Cervatos de la Cueza / 32 km


Je suis rentré hier dans la province de Palencia, dont j’admire tous les canaux et biefs d’irrigation. Le canal de Castille, entre autres, apporte de la vie à tous les champs de céréales et de pommes de terre : cette région peut se targuer d’être le grenier de l’Espagne. Il fait légèrement plus frais à cheminer sur les berges de ces cours d’eau, et mes pensées s’éparpillent comme eux à partir des principales rivières venant du nord.

 

Partout des vannes permettent à l’eau ou d’avancer ou d’être retenue. Deux positions : la plus basse, position zéro – vanne baissée – pas de mouvement d’eau ; la plus haute, position un – vanne levée – et le courant d’eau passe ! C’est du binaire en somme, comme en électricité ou en informatique … et c’est aussi la manière dont fonctionnent mes propres neurones, excités ou non !

 

Cette approche binaire est-elle une raison de mes difficultés à distinguer le vrai du faux ? Car l’impasse binaire ne me permet pas de résoudre la question d’antériorité entre l’œuf et la poule, l’un comme l’autre pouvant se targuer de ce privilège. Faut-il une autre approche pour mieux appréhender les paradoxes apparents de la nature, les fameux dilemmes entre continu et discontinu, ordre et désordre, repos et mouvement ? Ces deux derniers termes s’excluent mutuellement : ce qui est en repos n’est pas en mouvement, alors comment rendre compte du passage en parfaite continuité de la feuille verte immobile encore attachée à la branche et la feuille sèche qui se détache et tombe au pied de l’arbre ?

 

Il y donc non seulement le binaire : ce qui « est » et ce qui « n’est pas » (immobile, ou en mouvement – choisissez !) ; il y a une tierce possibilité : ce qui « peut être », entre des apparents contraires et permet l’existence d’un état transitoire, tel la tranche de la pièce de monnaie, entre pile et face ! Et hop, voici qu’entre le croyant (Dieu existe) et l’athée (Dieu n’existe pas), je permets à l’agnostique d’avoir son mot à dire (Dieu existe peut-être) !

 

Ainsi, à tituber entre des contradictions et à me fourvoyer dans des voies rationnelles en trompe-l’œil, sophisme aidant, je suis conduit à penser que tout et rien ne sont pas irrémédiablement opposables. Au contraire, ils peuvent être liés d’étrange façons. Je dois rester ouvert à de telles pensées intuitives, ce que font d’ailleurs les penseurs orientaux quand ils disent : « L’erreur n’est pas le contraire d’une vérité ; c’est plutôt comme une vérité incomplète, ou une autre vérité ! ». Chic alors : plus de dogme, donc plus d’hérésie possible ! Quelle ouverture d’esprit, quelle libération ! Vive le mode de pensée ternaire qui permet d’être ouvert à l’entre-deux !

 

Or l’agnostique, le dubitatif, peut s’enfermer dans son mode de pensée ternaire autant qu’il le désire. Mais il risque bien de ne jamais conclure, s’il a le moindre désir de recherche : car si oui, l’œuf peut éclore et donner naissance à une poule, il peut aussi donner naissance à un coq ! Et la poule sans le coq ne pourra donner un œuf qui puisse assurer la survie de l’espèce !  Les dubitatifs pourront-ils donc vraiment faire école ? C’est du : « P’têt ben qu’oui, p’têt ben que non, p’têt ben que nenni (ni l’un ni l’autre) » … encore du ternaire ! Là aussi on peut tourner en rond …

 

Le rationalisme grec, celui d’Aristote, a conduit à penser binaire, c’est-à-dire que si deux propositions sont contradictoires, toute tierce voie est exclue : l’une est vraie et l’autre fausse. À cela s’oppose l’idée du tiers inclus, c’est à dire celle qui permet à la fameuse devise française liberté, égalité, fraternité d’exister, malgré la complexité des oppositions entre ces termes. Car l’histoire témoigne bien de nos préoccupations souvent contradictoires entre liberté et fraternité, et entre liberté et égalité. Et je crois bien aussi que la fraternité ne commande pas toujours l’égalité !

 

Il va falloir néanmoins que j’ouvre plus avant la porte de ce mode de pensée plein d’intrigue ! Car en utilisant cette voie médiane, je ne vais pas seulement débattre du « Dieu qui est » ou du « Dieu qui n’est pas », mais je vais sans doute pouvoir mieux approfondir ce que j’entends dans ce mot « Dieu ». Sera-t-il plus que rien et moins que tout ?

 

 


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