…SPATIO-TEMPOREL…

Étape 61 / Vendredi 26 juin / De Tardajos à Hontanas / 21 km


Ô joie : ce matin, un pèlerin attentionné, mais de langue germanique, a laissé une note sur la table du coin cuisine avant de se lancer dès l’aube sur le chemin : « Le café est près ! » Son intention était manifestement d’avertir les pèlerins de langue française – dont je suis – qu’elle avait laissé en partant du café chaud dans la cafetière mise à disposition au refugio [gîte, en espagnol]. Elle voulait écrire : « Le café est prêt !». Cette aimable confusion orthographique me lance dans une méditation spatio-temporelle : car oui le café était non seulement « près » de la table, sur le comptoir (connotation spatiale : il n’était pas loin), mais il était également chaud et « prêt » à être servi (connotation temporelle : nous ne perdrions pas le temps de le préparer) !

 

Voilà qui lance mon étape sur la relation possible entre le temps et l’espace. Avant d’aborder la théorie de la relativité, je vois ici le fait que le café étant déjà prêt, les pèlerins qui vont se mettre en mouvement ce matin pourront partir plus tôt, donc couvrir plus d’espace dans leur marche d’aujourd’hui, en tout cas s’ils le désirent. Donc, pour eux, ce temps gagné ne sera pas de « l’argent » gagné, mais sera une plus grande « distance » possible à parcourir. Le temps c’est de la distance !

 

Or, si le temps est affecté par le mouvement, l’espace l’est également ! Dans sa théorie de la relativité, le génial Einstein a montré qu’une très grande vitesse s’accompagnait d’une contraction de l’espace et d’un ralentissement du temps. Si vous pouviez observer une fusée de 80 m de long et de 10 m de diamètre au repos se mettre en mouvement jusqu’à atteindre une vitesse approchant les ¾ de la vitesse de la lumière, vous verriez cette fusée (toujours avec un diamètre de 10 m) se contracter dans le sens de la longueur et n’avoir plus que 45 m de long ! Et une horloge emportée dans ce mouvement très rapide semblerait ralentie par rapport à une horloge identique et immobile restée sur terre !

 

On sait ainsi que le temps s’écoule différemment suivant qu’on approche de la vitesse de la lumière, et c’est prouvé. Je ne saurais encore vous dire comment et pourquoi, mais je me souviens qu’à un moment donné de mes études, j’ai cru fugacement l’avoir compris … Cela a à voir avec le fait que la vitesse de propagation de l’onde de la lumière ne varie jamais quelque soit la vitesse du point de référence depuis lequel on l’observe. Vous pouvez l’imaginer grâce à l’image suivante de la porte entrouverte.

 

Dans l'espace-temps, la durée devient une dimension comme les trois autres de l'espace. Imaginez que cette dimension-temps soit l'équivalent de la largeur apparente d'une porte. Imaginez que selon la vitesse à laquelle vous l'observez, la porte soit fermée (V = 0) ou entrebâillée (V) ou ouverte (V = c, vitesse de la lumière). La taille apparente de la porte T1 ou T2 diminue selon qu’on est à des vitesses V1 ou V2 de plus en plus rapides.

 

Imaginez maintenant que la longueur (relative) de la fusée puisse se voir comme la taille apparente de la porte, et vous aurez compris que 80 m peuvent sembler 45 m dans le sens du déplacement ! Et imaginez la durée (la mesure du temps sur l’horloge à bord de la fusée) jusqu’à l’ouverture complète. Elle sera de plus en plus ralentie au fur et à mesure que l’on approche de la vitesse c qui ne peut jamais être dépassée ! Ce sera comme si la contraction de l’espace était causée par un ressort de charnière résistant de plus en plus et ralentissant l’ouverture au fur et à mesure que l’on approche de c !

  

 

J'ai parlé de la capacité de l’espace à se contracter et du temps à se dilater dans certaines conditions de mouvement rapide. Or à l’autre bout de l’échelle cosmologique, la nouvelle physique quantique enseigne le principe d’incertitude découvert en 1927 par Werner Karl Heinsenberg (1901-1976) : on ne peut pas déterminer avec précision à la fois la position et la vitesse d'une particule. On ne peut même jamais les mesurer simultanément, même avec les plus grands progrès des instruments de mesure ! Le monde de l'infiniment petit échappe donc à la mesure, et donc à la prédiction. Il faut s'en remettre aux statistiques, aux probabilités. Tout ce que l'on sait est que la particule a certaines chances de se trouver à un endroit donné, et c'est tout ! Elle peut y être, mais elle peut aussi ne pas y être, et un calcul de probabilité peut donner le pourcentage de chance qu’elle y soit, ou pas ! …

 

Albert Einstein (1879-1955) n’aimait pas ce fait que le monde semble soumis au hasard. En 1927, invité au cinquième congrès Solvay, il eut de nombreuses conversations avec Niels Bohr (1885-1962) à ce sujet. Il dit alors : « Gott würfelt nicht » [Dieu ne joue pas aux dés] pour marquer son opposition à l’interprétation probabiliste de la physique quantique, ce à quoi l’autre savant Niels Bohr calmement répondit : « Qui êtes-vous, Albert Einstein, pour oser dire à Dieu ce qu’Il doit faire ? ».

 

Toujours est-il que nous en sommes là : s’il est illusoire de connaître avec certitude la position d’une particule dans l’espace, et si l’espace et le temps sont liés, cela veut-il dire que le temps lui-même est illusoire ? Ce que nous percevons en réalité n’est pas le temps qui passe plus ou moins vite, mais le changement de position dans l’espace. Or, bien qu’il y ait grossièrement consensus entre les observations de différents humains à grande échelle (oui le soleil se lève bien à l’est), personne n’est capable de vérifier avec certitude la position d’une particule, et cela devrait nous rendre un peu plus humble que nous le sommes généralement ! Cela confirme que le devenir est imprévisible, tant mieux ! On ne sait jamais ce qui peut apparaître dans ce désert spatio-temporel …

 

Et c’est avec une moindre « hantise » d’un monde absurde au devenir spatio-temporel complètement prédéterminé que je pénètre dans Hontanas …

 

 


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