…UN DIEU ABSENT ?

Étape 56 / Dimanche 21 juin / Santo Domingo de la Calzada


« Dies irae, dies illa, jour de colère que ce jour là … » : cette séquence musicale chantée depuis des siècles à la messe des morts me revient en tête en lisant mes notes d’hier dans lesquelles j’ai mis à la question certains fondements de la religion qui m’a été enseignée. Quel châtiment du ciel va-t-il me tomber sur ma tête pour oser ainsi mettre en doute ce que les prêtres qui nous faisaient autrefois l’instruction religieuse me disaient être « la révélation » ? Est-ce ma faute si j’y trouve quelques points étrangement communs à d’autres mythologies antiques ou orientales, par exemple le Livre des Morts des Égyptiens ? Dois-je en conclure, comme certains le font, que Dieu, notre Dieu, est absent ?

 

Je reprends la séquence de mes réflexions survenues lors des 128 km que j’ai faits dans la semaine :


« Sans repère cohérent, ni sens, ni finalité, s’annihile pieusement un Dieu absent ? »

 

Je vais profiter de ma journée de repos dominical pour aller plus loin dans la possibilité du nihilisme : il est un fait que « Dieu », le dieu de ma religion chrétienne, ne m’a pas encore révélé sa présence, ni fait entendre sa voix de façon directe, par exemple, comme Il le fit avec Moïse depuis le buisson ardent (Exode 3 : 1-6). Si ce dieu est hors de l’univers, je comprends bien qu’il me soit inaccessible, mais s’il est dans l’univers, ou s’il est l’univers même, alors qu’a-t-il vraiment de divin ? Dois-je conclure qu’il me manifeste son absence immédiate parce qu’en fait ce dieu n’est vraiment pas présent ? Ou est-ce une discrétion volontaire de Sa part afin de me laisser une totale liberté de m’inquiéter de Lui ?

 

Aïe, aïe, aïe … Puissant dilemme ! Suis-je là, avec mon burin immobile, inutilement en train de scruter sans succès, à essayer de distinguer le visage d’un Dieu absent ? Ou bien dois-je accepter l’absence de tout visage de Dieu ? Or, Moïse, en entendant Dieu lui parler sur les flancs du mont Horeb, lui, n’y voyait que du feu ! L’absence de tout visage était manifeste, pour le moins, et le feu l’aveuglait tant qu’il ne pouvait que se prosterner ! Est-ce aussi la raison pour laquelle Saul fut un moment aveugle après avoir été terrassé sur le chemin de Damas ? Je ressens la logique de cet épisode de rare manifestation du Dieu de Moïse : Il aveugle de Sa lumière le pharisien zélé Saul qui se trompait de cible en persécutant les adeptes de Jésus, et quand Il lui parle, c’est par la voix même de Jésus ! (Actes 9 : 1-9)

 

Mis à terre, aveuglé, conscient d’une présence manifeste de Dieu à travers celui qui prétendait être à la fois le fils de l’homme et le fils du Dieu de ses pères, « Saoul » (forme araméenne du nom Saul dont la racine veut dire « questionner » !) changera, par humilité, son prénom en Paul, « l’avorton » de Dieu ! Car le mot Paul est le latin « paulus » que les Romains utilisaient pour désigner quelqu’un de petit, de faible, de peu considérable. Encore un fois, puissant dilemme : ce Dieu là est ou bien « à prendre, ou à laisser », en tout cas à questionner et Il peut sûrement vous faire ressentir votre petitesse !

 

Me vient alors la question suivante : « Si je n’avais jamais reçu le moindre enseignement religieux, que serais-je devenu ? » Animiste – voyant de la divinité en mille choses belles ou effrayantes ? Déiste – pensant que la divinité existe mais ne voulant pas lui donner le moindre attribut ? Athéiste – affirmant qu’il n’y a pas de Dieu ? Je reconnais que la dernière position présente une certaine ambigüité, car même si Dieu n’existe pas, le fait de le dénier implique au départ l’idée de Dieu, puis de faire le pas difficile de s’en séparer. Or, je ne me vois pas prenant une telle décision nihiliste. Non, mon sentiment est qu’il existe « quelque chose » d’indéfinissable qui résonne en moi et autour de moi. Ce sentiment est suffisamment fort pour ne pas réfuter Dieu en totalité. En le faisant, je serais malhonnête, je ne croirais pas à ce que je pense : je ne suis pas capable de mettre Dieu hors de portée de ma pensée !

 

Par exemple, j’aurai du mal à éliminer le mot « pèlerin » de mon vocabulaire, et commencer à dire que je ne suis qu’un « itinérant » ou « randonneur ». Non, honnêtement, je me suis mis en route pour réviser l’idée que j’ai de Dieu, pas pour essayer d’apprendre à m’en passer. Et l’idée même d’essayer de le faire me met mal à l’aise : j’ai vraiment une certaine admiration pour ces athées qui disent avoir fait le pas et qui disent ne pas s’en porter plus mal. Pour moi, c’est impossible !

 

Si l’humain tel que je le contemple aujourd’hui dans toute sa science et toute sa barbarie n’est pas le but ultime de la création, en quoi faut-il espérer ? En une invasion d’extra-terrestres capables de mieux nous policer ? Sommes-nous à la merci éventuelle de sauveteurs venus d’ailleurs pour nous asservir afin que notre conduite devienne plus conforme à ce que nous voudrions voir plus souvent dans ce monde : de la joie, de la solidarité, de la fraternité, de la justice, en un mot, de l’amour les uns pour les autres ? Or cela n’est-il pas justement, doctrinalement, la position du Dieu des chrétiens ? Peut-on croire que l’humain peut, de lui-même, se convertir à une attitude philanthropique universelle, tout en acceptant qu’après un petit tour en cette vie, il n’y a plus rien, « nihil », le vide, le néant ?

 

Quel vertige ! L’idée de Dieu a certainement évolué au cours des âges, comme a d’ailleurs évolué l’opinion de l’homme sur les bienfaits de la science. Mais l’absence de Dieu me donnerait le sentiment d’être orphelin, pas celle d’un responsable libéré et prêt à l’héroïsme pour aider d’autres humains … Que va faire l’esclave affranchi ? Dévouer sa vie à libérer d’autres esclaves, ou bien aller se réfugier là où il pense pouvoir survivre en oubliant son état antérieur ?

 

Je me sens, comme Paul, bien petit devant l’univers, bien petit aussi devant le visage d’un Dieu qui même s’Il ne m’a pas mis à terre comme lui, trouve le moyen de m’empêcher de Lui donner le visage d’un « absent ». Car retenir ce visage d’absent me mettrait en porte à faux avec ce que je ressens, et je ne saurai le sculpter ainsi … mais rejeter ce visage serait manifestation de la grande liberté qu’Il me laisse, de quoi fondre encore plus d’étonnement et de petitesse devant ce qu’Il est capable de faire !

 

Itinéraire depuis Puente-la-Reina jusqu’à Santo Domingo de la Calzada (8ème semaine).

Itinéraire depuis Puente-la-Reina jusqu’à Santo Domingo de la Calzada (8ème semaine).

 

 


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