…FIGURANT…
Étape 41 / Samedi 6 juin / de Navarrenx à Mauléon / 18 km
Tandis qu’hier en quittant Argagnon, je franchissais le Gave de Pau, aujourd’hui en quittant le village fortifié de Navarrenx, je franchis les eaux du Gave d’Olloron. Les gaves sont les noms donnés en Gascogne aux cours d’eau descendant tumultueusement des Pyrénées dans le Piémont pyrénéen. Mais il ne faut pas se figurer que l’expression « gaver une oie » a la même racine étymologique. Car le gave, c’est aussi le jabot ou gosier de l’oiseau en Picardie. Comme quoi, comme je le disais il y a peu, il faut se méfier des mots, au propre comme au figuré !
En attendant, plein d’esprit, sinon de foie gras, je me suis gavé de pensées ces derniers temps ! Et je veux justement approfondir la relation que j’envisage entre la pensée (malaxation interne au cerveau) et l’esprit (surgissement mental semblant diffuser depuis l’extérieur du cerveau). Les deux se combinent en une sorte d’émetteur-récepteur cérébral, et il est difficile de décider qu’est-ce qui distingue la part matérielle de l’encéphale (qui triture la pensée) de ce qui l’anime et l’inspire immatériellement (et avec tant de traits d’esprit, ah, ah !).
Cette analogie expliquerait pourquoi une idée peut être à la fois une et multiple, prenant des nuances diverses auprès d’individus différents, chacun selon sa capacité propre à penser. « D'une même idée dix hommes feront dix pensées différentes, s'ils ont en eux assez de vie propre et de force originale pour les marquer à leur effigie. » (Esprit-Adolphe Segretain – 1842 – Des éléments de l'état ou cinq questions concernant la religion, la philosophie, l'art et la politique, volume 2).
La méditation et le recueillement ouvrent la voie à des pensées originales, comme parfois le réveil après un état de sommeil. C’est à croire qu’il existe une sorte de sixième sens, l’esprit, et qu’il fonctionne mieux quand les cinq autres sens sont mis en veilleuse. Meilleure réception ? Une bonne santé physique et mentale, du relâchement après un effort, le repos, stimulent le recueillement et le nourrissent. Et la saine marche du pèlerin en est la preuve ! Mes pas scandent souvent pour moi un état de rêve éveillé ! Et mes arrêts dans le silence d’une chapelle du « Camino » m’inspirent souvent de nouveaux états d’âme plus sereins.
Je me souviens du fameux « E.T. phone home ! » (E.T. téléphone chez lui), dans le film célèbre de Stephen Spielberg où l’extra-terrestre rentre dans un état cataleptique pour communiquer avec ses semblables … et son cœur en rougit d’émotion ! Ainsi, les Anciens imageaient volontiers la puissance émettrice de l’esprit en représentant une auréole autour de la tête des êtres le plus capables de bonne influence, les saints ! Pour leurs contemporains, leur énergie communicative et bienfaisante semblait véritablement rayonner. La science semble dire aujourd’hui que le cerveau se comporte également en filtre efficace, éliminant ce qui l’encombre inutilement pour ajuster le nombre des neurones et la qualité de leurs connexions aux besoins requis par l’évolution. La taille du cerveau de l’homo sapiens aurait doublé par rapport à celle de l’homo erectus en moins de 2 millions d’années.
En tout cas, je commence à avoir beaucoup plus de respect pour la résonnance spirituelle dont était capable le monde ancien. Je pense à l’incroyable sérénité et la certitude d’une vie au delà de la mort qui s’était perpétuée pendant près des deux mille ans de l’histoire peu mouvementée de l’Égypte ancienne. Le recueillement spirituel des peuples du bord du Nil dans leur rythme de vie laborieuse mais pacifique, ponctué par les crues régulières et bénéfiques de leur dieu fleuve, était sans doute plus performant que le mien. Même s’il était moins informé de tout ce qui se passait ailleurs ! Et ces gens nous ont laissé moult représentations élogieuses figurant une vie qui semblait très heureuse malgré les « corvées » qu’il fallait fournir à l’état …