…L'ESPRIT…

Étape 40 / Vendredi 5 juin / D’Argagnon à Navarrenx / 28 km


Ma longue étape d’hier ne m’a pas paru difficile, tant les pensées qui germaient dans ma cervelle m’absorbaient et occultaient tout sentiment de fatigue. Ces pensées, à propos de la pensée, m’ont fait réaliser qu’il y a deux genres d’activités qui se bousculent dans ma boîte crânienne.

 

Il y a d’abord une activité interne, à dominante neuronale, qui me fait réfléchir à proprement parler : elle analyse observations et expériences vécues et tente de me suggérer la conduite à tenir pour gérer le pratique et l’efficace. Elle observe par exemple, avec justesse, que j’ai un petit creux dans l’estomac et me suggère de m’arrêter à la première boulangerie ouverte pour y acheter de quoi me sustenter. La pensée suggère les moyens d’arriver à une fin. On dit pour cela qu’elle agit de manière médiate, car elle permet d’atteindre un but au moyen d’un processus utilisant des étapes intermédiaires. Dans l’exemple que j’ai choisi, je pourrai dire que la faim justifie les moyens. Car, ayant faim, et ayant découvert au cours des années que les boulangeries recèlent les moyens d’apaiser la faim, les images de boulangeries (qui font partie des images accumulées dans mon cerveau depuis ma tendre enfance) se sont réveillées dans mon mental. Et c’est par l’intermédiaire de ces images que je trouverai une solution pour apaiser ma faim.

 

Il y a ensuite une deuxième activité qui peut se passer dans ma tête. Celle-ci n’est plus une pensée interne, mais elle se manifeste par un sentiment que quelque chose est venu se planter en moi depuis l’extérieur, un concept qui semble avoir pénétré dans mon crâne depuis ailleurs. Les anciens utilisaient le mot « spiritus » pour désigner ce phénomène qui semble insufflé de l’extérieur, par opposition au mot « mens » pour désigner la pensée mentale concoctée à l’intérieur de mon cerveau.

 

La version spirituelle de la pensée nous reste dans le langage courant lorsque nous disons de quelqu’un : « Il a de le l’esprit », signifiant par là qu’il est capable de surprendre par des idées qui semblent venir d’ailleurs. Et le mot « esprit » a la même racine que le mot « inspiré », comme si un souffle venu d’ailleurs est venu en nous. D’ailleurs, il y a à l’esprit une connotation entrante et sortante, comme l’inspiration et l’expiration, et plutôt que neuronale, cette activité est à dominante humorale. Un esprit enjoué peut d’ailleurs vous mettre de bonne humeur, tandis qu’un esprit chagrin risque de vous mettre de mauvaise humeur !

 

C’est autant de ma pensée, mentale et médiate, que de l’esprit, spirituel et immédiat, que j’attends des réponses à mes questionnements. Quand je dis spirituel, ce n’est pas que je cherche à rire. Mais c’est le mot que j’utilise pour décrire mon désir de lever les yeux au ciel pour orienter mon intuition quand mon mental est incapable de me donner une réponse. Et parfois, oui, sans intermédiaire, quelque chose, un nouveau concept, vient m’inspirer, me souffler une réponse, comme un fruit tombé du ciel !

 

Cela me rappelle le film « Seul au monde » (Cast Away de Robert Zemeckis - 2000) avec Tom Hanks échoué sur une île déserte du Pacifique avec quelques emballages divers expédiés par sa compagnie Fedex. C’est son mental qui agit, de façon médiate, quand assoiffé et affamé il se bat à trouver le moyen d’ouvrir des noix de coco et réussit à se faire une hache en utilisant un patin à glace fixé à un bâton. Mais quand la solitude pèse sur son esprit, et qu’il ne trouve pas réponse aux questions sur son destin, Tom s’invente un partenaire avec Wilson, un ballon de volleyball sur lequel il a dessiné un visage grimaçant, et auprès duquel il cherche l’inspiration ! Souvent frustré du manque de réponse, Tom se fâche contre Wilson …

  

Wilson et Tom Hanks, 15 ans après le film « Seul au monde »

 

Comme s’il fallait être deux pour s’en sortir … Ce qui me fait imaginer (ô, merci intuition venue d’ailleurs !) que 1 + 0 = 2. Car « un » homme tout seul (Tom Hanks) avec son ballon absolument incapable de parler (Wilson, ce « zéro » absolu) forment une « paire » vraiment très « spirituelle » (cette fois-ci au sens « amusant » du terme) !

 

Moi aussi (est-ce télépathie ?), j’ai parfois l’impression de pouvoir communiquer de manière directe et silencieuse avec autrui. Échange instantané, affranchi du temps et de l’espace, allant à la vitesse de la lumière. Se faisant sans que je puisse l’expliquer, cet échange est certainement très enrichissant.
On peut imaginer que l’esprit, venu de l’extérieur, proche ou lointain, vient stimuler mes pensées, qui feraient rejaillir hors de moi de l’esprit ainsi modifié. Vous, qui lisez ces notes, en bénéficiez aujourd’hui !

Ainsi, entre mes pensées mentales médiates et mon esprit d’intuition immédiate, se crée l’ici-maintenant de mon être, lui conférant sa consistance propre, et la persistance de son vécu jour après jour. Mais le fonctionnement mental n’est pas unique aux humains. Tourné vers le pratique et l’efficace, il semble agir dans toute sortes d’animaux et même d’autres formes vivantes, les incitant à des comportements efficaces, depuis le lézard qui sait fuir lorsqu’une ombre s’en approche, jusqu’à la plante de tournesol qui se tortille lentement sur sa tige pour bénéficier au maximum des rayons du soleil.

 

Les animaux supérieurs, les primates par exemple, les éléphants ou les dauphins, manifestent eux aussi une intelligence relationnelle et une capacité prémonitoire qui semble n’avoir rien à envier aux capacités humaines. En sont-ils conscients autant que je le suis, là est la question ! L’esprit serait-il hébergé dans un inconscient qui le redistille – à bon escient ! – à la conscience ? Un héritage génétique enfoui dans mes cellules dès la naissance, et qui se réveillerait, circulant en vagabond, quand certaines gâchettes sont actionnées ? Quelles cellules ? Quelles gâchettes ?

 

Il y a encore à fouiller cette distinction encore brumeuse entre pensée et esprit. Mais je vois que le concept « mens / spiritus » est utile pour éviter l’écueil habituel du souci d’objectivité, cher à la science. Celle-ci veut toujours, et uniquement, prendre le matériel comme point de départ de l’observation et de la réflexion, et veut nier le concept d’esprit, qui lui pose évidemment un problème ! Mais la science aurait-elle pu inventer le rôle subjectif mais indispensable de Wilson, le volleyball qui permet à Tom de survivre sur son île déserte ?

 

Autre forme de connivence entre « l’Envers » et « l’Endroit » déjà évoqués lors de ce pèlerinage, je vois maintenant un côté pile et un côté face à l’activité de ma petite cervelle.

 

Pile : la pensée, présidant aux choix usuels du manger, se vêtir, dormir, etc. C’est la source probable du talent humain dans tout ce qui est technologique, objectif et concret. Face : l’esprit, suscitant l’appétit et la façon de vivre (et de survivre), les sympathies, les aspirations. Il est source du génie artistique et promoteur de nouvelles inspirations subjectives.

 

 


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