…PARTICIPANT…

Étape 37 / Mardi 2 juin / De Nogaro à Aurensan / 27 km


Mes notes d’hier ont encore dépassé le cadre d’une simple page, tant il y avait à dire sur cette vision globalisante du « Un », ce fameux « Un pour tous ». Je résume : au delà de l’inerte dont l’expansion s’est peu à peu propagée dans l’espace depuis un grand boum, l’univers qui englobe tout ce qui s’y trouve, contient du vivant. Ce qui est vivant est constitué de matière puisée dans l’inerte. Le vivant est aussi affecté par certaines lois qui affectent l’inerte depuis le grand boum, par exemple la pesanteur. La science semble savoir de mieux en mieux expliquer tout ce qui est arrivé, ce qui arrive et ce qui arrivera à l’inerte dans l’expansion qui se fait depuis le grand boum. Comme s’il y avait prédestination dans tout cela, on sait ce qui arrivera au soleil, et on se doute du sort des planètes qui l’entourent. Mais la science ne peut se targuer de prédire ce qui va se passer à partir du vivant, en particulier à partir de l’humain en lequel le concept de prédétermination ne semble pas tenir la route. En tout cas, pas chez moi !

 

Or, s’il y a véritable liberté dans le devenir du vivant, il faut imaginer quelque chose au delà du « tout » de l’univers et de son contenu qui permette une telle liberté, insuffisamment explicable par les lois de la science. Ce quelque chose, ce grand « Un » qui gouverne l’inerte suffisamment bien pour en faire sortir du vivant doué d’un certain degré de liberté dans son rapport avec l’inerte, me donne un certain temps (ma vie) pour décider justement de quel genre de rapport je vais avoir avec l’inerte, comment je vais participer à la réalité de cette nature qui m’entoure.

 

Ma marche d’aujourd’hui est un exemple de rapport entre vivant et inerte. Je – le vivant – participe librement – c’est mon choix – à la découverte d’un coin de l’univers situé dans la direction sud-ouest de Nogaro. J’y rencontre l’inerte, en l’occurrence un relief agréable où de légères hauteurs généralement boisées dominent des cuvettes que les agriculteurs locaux ont labouré en suivant les lignes de niveaux. Les plants de maïs et de tournesol qu’ils y ont plantés servent de repères topographiques. C’est un plaisir d’observer les ondulations marquant la déclivité plus ou moins accentuée des pentes naturelles des champs : une carte de géographie en relief à l’échelle 1/1, et non pas au centième ou au millième !

 

À l’unisson de ce paysage apaisant, je me sens en harmonie avec la nature. En progressant sur le sentier qui contourne une de ces cuvettes, je m’imagine être la pointe du crayon d’un créateur qui a imaginé cette carte en relief. Je communie ainsi avec son geste et je suis charmé de mériter ce coin du monde qui m’accueille et m’intègre. Moi, le petit crayon qui progresse et contourne, je communie à une beauté qui charme à tel point que m’achever en elle ne me causerait aujourd’hui aucune frayeur. « Voir Naples et mourir ? », non, pour moi aujourd’hui, ce serait « Voir le Gers et mourir ! » Qu’importe, si la pointe du crayon casse au moment où il traverse la gracieuse rivière de l’Adour. Il mourra avec amour !

 

Les agriculteurs du coin, par leurs plantations en courbes, me font réaliser un autre aspect de la participation entre le vivant et l’inerte : l’humain (vivant) soumet d’autres vivants d’un ordre inférieur (des plantes) à une possibilité de croissance dépendante de la quantité et la qualité des éléments nutritifs (inertes) trouvés naturellement dans le sol labouré ou apporté par l’eau de pluie. « Ô nature complaisante qui te soumet favorablement à l’humain, je communie avec toi aujourd’hui ! Ô joie de la participation de l’humain à la création ! »  Car une succulente polainte (de maïs) dorée après cuisson dans l’huile végétale (de tournesol) pourront être l’aboutissement de l’épanouissement de ces plantes.

 

Animaux et plantes font « un » avec la nature, mais l’humain, acharné à les soumettre pour sa propre satisfaction, fait plutôt « deux » avec elle. Pourtant provenant de la même création, l’humain se détache de la nature qui lui apparaît le plus souvent neutre sinon hostile : allez demander à un citadin de vous accompagner donner un coup de main pour faire les foins en été en montagne, et vous verrez sa réaction, s’il n’a jamais grandi dans ce milieu pour lui complètement inhospitalier. Or, de plus en plus de gens quittent la montagne pour la vie plus bétonnée des villes ! La montagne … tiens, voici justement la chaîne des Pyrénées où je vais dans quelques jours me fondre. Je vais la gravir, lui livrer une part de moi-même dans l’effort et la sueur ! Participation que je peux prévoir ou bien comme contraignante ou au contraire comme libératrice et épanouissante, si je communie en plénitude à la beauté des cimes !

 

 


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