…UN DIEU PERSONNE ?
Étape 35 / Dimanche 32 ami / Éauze
Il y a 5 semaines que je suis en route. J’ai fait 35 étapes et parcouru 744 km : quel progrès depuis les environs de Morestel ! J’ai marché 144 km la semaine dernière : c’est le parcours hebdomadaire le plus court effectué jusqu’ici. Mais qu’il fut pénible aux neurones de ma cervelle fouillant et triturant un champ que d’autres ont bien labouré avant moi pour ne trouver jusqu’ici aucun trésor en fin de compte (Cf. Jean de La Fontaine, Fable V,9 – Le laboureur et ses enfants) ! Je résume ce travail de mon intellect :
« Exister par essence, étant “je” de l’ego, “moi” de l’âme, justifie-t-il un Dieu personne ? »
Il y a huit jours, comblé par ce que pensais après coup être un petit miracle, je me représentais Dieu comme une personne bienveillante à mon égard. Mais hier, à l’opposé, s’autodétruisaient par simple logique deux arguments classiques essayant de prouver Son existence. J’avais voulu nommer une entité intemporelle du nom de Dieu. J’ai appris que cela ne suffit pas à affirmer l’éventuelle réalité de Sa personne : il n’y a aucun repère pour comparer Dieu à quoi que ce soit de connu. Et c’est justement parce qu’Il est inconnaissable que tant de religions se réservent avec bonne foi le verrouillage correct de Son concept. Dans le fétichisme, le bouddhisme et d’autres systèmes de pensée, certains font donc fi de Le concevoir comme personne, et cela est à priori plausible.
Il me faut être tolérant, car je ne vois jusqu’ici aucun indice clair autorisant à affirmer l’existence de Dieu non seulement dans ma pensée, mais aussi en réalité. Et il faut donc avoir du respect pour ceux qui dénient cette pensée, du fait que la matière informée ne peut seule rendre compte de ce qui l’informe. En refusant le qualificatif « personne » à Dieu, certains définissent Dieu non pas de manière anthropomorphique, comme le font les religions du Livre, mais comme un grand Tout : l’ensemble de toutes les informations nécessaires à structurer matière et formes vivantes dans l’univers.
La création artistique donne souvent à celui qui en fait l’expérience l’impression que son être se lie à quelque chose de plus grand qui l’inspire. J’en ai fait l’expérience moi-même en cherchant parfois des rimes à mes mauvais poèmes. Cela donne un sentiment particulier d’existence plus intense pendant un certain moment : était-ce ce que recherchaient les premiers artistes humains dans les grottes de Lascaux ? Un sentiment de se lier à une personne qui vous fait vivre un instant de transcendance, une bribe de contentement à la fois instantané et éternel, une connexion avec un tout permanent, l’Être, simultanément être, essence et existence – ce qui fait comprendre un peu ce qu’est l’extase !
Est-ce une illusion, cette relation d’être à Être ? Ce Dieu donnant l’impression de se personnifier, et d’avoir une existence autre que la mienne ? Est-il une projection à partir de moi ? Est-ce moi qui crée Dieu ? Ne pêcherais-je pas par orgueil, en prétendant ici et maintenant que Dieu est parce que je suis ? Je ressens bien que mon « je » est, mais je sais aussi que ce « je », tel qu’il est aujourd’hui, un jour ne sera plus ! Tandis que seul Dieu, personne suprême, serait, Lui, en mesure d’affirmer : « Je suis ». Cette logique vient de mon état mortel: mon « je » se compare à un état imaginé immanent pour le « Je » de Lui (Lui qui personnifie Dieu). Or, avant l’apparition de l’homo sapiens, ou celui de Cro-Magnon à Lascaux, qui aurait pu envisager Dieu comme personne ? Sûrement pas les dinosaures ! Et encore moins les atomes naissants juste après le « big bang » ! Je dois donc reconnaître que si j’accepte la possibilité de Dieu en tant qu’Être, il serait illusoire d’envisager la possibilité de L’assimiler à une personne.
Et si je décide d’adresser des prières, par exemple des remerciements pour ma survie lors de l’étape de Rocamadour, à qui dois-je les adresser ? À un Être dont la personnification n’est pas ? La statue de Dieu me devient maintenant si informe ! Comment dialoguer avec de l’inimaginable ? Un être inimaginable qui a pourtant bien concrètement réussi le « big bang », créé les dinosaures, et inspiré les gravures pariétales de Lascaux ! Qui est cet inimaginable qui me donne souvent le coup de pouce dans la bonne direction et que j’imagine en dépit de tout revêtant le visage d’un Dieu « sauveguide » ? Et si, tout simplement, je faisais partie de son Être qui est « Je suis », donc se sauvegarde Lui-même. Alors, n’est-il pas possible d’envisager que sauvegardant une partie de Lui-même, ce qui abrite mon être se trouvera sauvegardé avec Lui ? Sans intention particulière et nominative ! « Pôvre de moi, peuchère ? Non, heureux moi. »
Itinéraire de Lauzerte à Éauze (5ème semaine)
et de Éauze à Mauléon (6ème semaine).