…JUSTIFIE-T-IL…

Étape 34 / Samedi 30 mai / De Condom à Éauze / 28 km


Je suis sûr que j’ai du cœur, je le sens battre régulièrement, d’ailleurs. Mais je me sens aussi bien du vague à l’âme, pas du « vague au cœur », à quitter Condom ce matin. Cette petite cité mérite bien son épithète de « la porte du bonheur ». Que de richesses : on y voit 7 églises ! Or, si j’apprécie le concept de l’ « âme », puisque je me complais à un certain nombre d’expressions qui utilisent ce mot antique et désuet, il me faut mieux comprendre ce que le mot implique. Il semble que le mot « âme », mieux que le mot « cœur », permette de relier l’existence (le fait d’être), l’essence (ce qui fait la nature de l’être) et l’être de mon « moi » (ce pèlerin qui cogite ici en chemin) à un « Être » unique, Celui que je prie parfois.

 

Car si mon existence est fondée sur un « possible » que l’essence tire de l’être, il en est de même pour d’autres existences : d’autres pèlerins, des lézards, des arbres, etc. … et ceci à foison !  Comment ne pourrais-je pas alors en déduire le concept d’un Être ultime à l’origine de tous ces êtres individuels ?  En Lui se confondraient l’essence de toutes choses et l’existence de toutes choses. Cet Être serait bien sûr celui que l’on désigne par le mot Dieu. Parlons un peu plus de cet Être, Dieu, car si j’arrive à avancer sur ce point, mon pèlerinage m’aura permis de faire un pas de plus : « un petit pas » qu’une grande part de l’humanité préfèrera sans doute ignorer, mais « un pas de géant » en avant pour moi !

 

L’intuition que j’ai de l’existence de Dieu se manifeste par la pression régulière que j’ai à en chercher la preuve. Que disent, avec plus de professionnalisme, les apologistes, ceux qui cherchent cette preuve ?

 

1. Dieu est, parce qu’il est nécessaire qu’ « Il » soit. C’est l’argument ontologique. Le théologien né à Aoste, Anselme, dans son Proslogion, exprimait au XIe siècle que : dire « Dieu », c'est reconnaître un être « tel que rien de plus grand ne puisse être pensé ». Si un tel être n’est que le fruit de la pensée de celui qui le pense, alors rien n’empêche le même penseur de concevoir un être similaire qui aurait de surcroît la propriété d'exister. Le deuxième être pensé, celui qui existe, serait donc « plus grand » que le premier qui n'existe pas. Ce ne peut être que Lui qu’on peut appeler Dieu : Dieu existe donc !

 

Or, l’argument d’Anselme est réfutable : il mélange le concept de Dieu avec la propriété qui le distinguerait, à savoir celle qu’Il est plus grand que tout, et ensuite on se sert de cette propriété conceptuelle pour prouver son existence. On appelle cela de la tautologie, du genre : « La licorne existe parce qu’il est nécessaire qu’elle soit. Car dire licorne, c’est reconnaître un animal tel qu’il porte une corne au front. Si la licorne n’existe que dans l’esprit de celui qui l’a imaginé, alors on peut concevoir un être similaire qui aurait de surcroît la propriété d’exister. Or le narval existe, et plus encore, la vache existe, avec deux cornes au front, donc rien n’empêche à la licorne d’exister ! » C’est contourner l’obstacle en sautant de la présence de quelques preuves validant une possibilité à la certitude d’un fait.

 

2. Le cosmos tournant comme une horloge, son horloger ne peut qu’être appelé Dieu. C’est l’argument téléologique (ou appel au dessein) que Voltaire résumait ainsi dans deux vers des Cabales : « L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer … que cette horloge existe et n’ait point d’horloger ! » C’est l’argument du bon sens, celui que l’on voudrait avoir lorsque l’on manque d’explication au pourquoi des choses. Mais je ne veux pas de ce Dieu bouche-trou, postulé pour combler les lacunes de ma science. Dieu serait le réceptacle de la prolifération de tous les mystères inexpliqués : Dieu en étant l’hypothèse la plus simple, son existence est donc des plus probables. Ce serait comme contourner l’obstacle en sautant de l’absence de preuves du contraire à la preuve de la présence, voulant croire que la proposition « Dieu n’existe pas » est fausse. Or si c’était si simple, cela se saurait !

 

J’ai peur que mes pas osés vers la preuve de l’existence de Dieu ne m’aient conduit qu’à trébucher ! Voilà ce qui arrive souvent à consulter des « pros ». Neil Amstrong, le premier humain à poser le pied sur la lune, se vanta d’avoir fait « un petit pas pour l’homme, un pas de géant pour l’humanité ». Moi, qui avais l’audace d’essayer de faire un pas de géant pour justifier Dieu à l’humanité, je me retrouve le nez parterre !  Je marche et ose … chercher et rien de tangible ne vient. Que trouverai-je donc en entrant à Éauze ? Dieu ou personne ? J’y chercherai en tout cas mon repos dominical, j’en ai bien besoin.

 


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