…“MOI” DE L'ÂME…
Étape 33 / Vendredi 289 mai / De Marsolan à Condom / 26 km
C’est en passant par la jolie bourgade de La Romieu, fière de sa collégiale et de sa bénigne légende des chats d’Angéline protégeant le village des rats en un temps de famine, que je me dirige aujourd’hui vers Condom. Je m’y arrête sous une voûte ombragée pour déjeuner, et je déguste ensuite un armagnac local. On dit que l’alcool préserve, n’est-ce pas ? Justement, en le dégustant, me revient cette impression qu’une partie de moi ne vieillit pas, que j’essaye ou non de la préserver par l’alcool !
C’est l’être de mon « moi », ma plus certaine identité, celle que je reconnais bien quand je me sens avoir un « cri du cœur ». Ce cœur, qui parfois se sent trahi, parfois se sent en extase ! Ce cœur que je couvre parfois de mon « moi » secret le plus intense lorsqu’on l’attaque … c’est aussi ce cœur que j’entrouvre parfois avec timidité lorsque le plus faible « je », que je suis, se laisse aller à la romance. Il est des moments où mon « moi » résiste « de toute son âme », car lâcher serait trahir … et d’autres ou mon « je » s’exprime avec candeur, au risque de se laisser manipuler et avec le danger que « j’en perde mon âme » !
L’âme a une connotation religieuse, et beaucoup évitent d’en parler. Mais le cœur, oui, chacun de nous, incrédule ou croyant, n’aura pas de mal à accepter qu’il (ou elle) a un cœur, un cœur que l’on cherche à briser parfois, un cœur qu’à d’autres moments, il (ou elle) est prêt (prête) à donner ! Et pourtant, ce concept plus flou, plus ancien de « l’âme », n’invite-t-il pas à quelque chose de plus profond encore, de plus ancré dans le mystère ? Pourquoi puis-je dire plus facilement que le cœur vibre alors que l’âme résonne ? Comme si mieux que le cœur, l’âme avait cette capacité à se mettre à l’unisson de l’univers, à se laisser bercer par le flux et du reflux d’un immense océan éternel.
C’est mon âme (si finalement j’en ai une !), plus que mon cœur, que je ressens se mettre au diapason d’une onde profonde qui m’interpelle au plus intime. Cette onde m’invite généreusement, mais sans me forcer, à me connecter au monde grand, beau et véritable. Union enveloppante et sacrée par laquelle disparaîtrait l’angoisse et où tout serait toujours serein ! Invitation à un état amoureux, presque, mais sans l’ineptie du petit, du triste et du matériel ! Les vapeurs d’Armagnac y contribuent aussi, sans doute !
Quand je veux prononcer le mot « amour », je débute par le son « âme » : est-ce si absurde ? Cette coïncidence de consonance, est-elle un accident de parcours de notre belle langue française ? Non, j’y vois plutôt la confirmation de ce qui définit tout un chacun désireux de se mettre en recherche d’une séduction éternelle et infiniment sûre. Voulant accéder à l’amour vrai, on y découvre son âme ! On dira de quelqu’un, qu’il, ou qu’elle « a » bon cœur. On ne dira pas qu’il, ou qu’elle « a » bonne âme. Par contre on dira d’une personne exceptionnellement rayonnante par l’amour qu’elle peut porter : « Quelle belle âme ! » Et c’est là, au plus profond de moi, que je peux être touché par cette évidence : au tréfonds de mon corps il y a une âme qui peut rayonner, si je choisis que mon « moi » la laisse aimer !
Mon corps se nourrit de choses bonnes ou mauvaises. Il se cantonne à être d’une matérialité objective, mais mortelle. Mon âme a cette douce ambition de se délocaliser dans l’espace et dans le temps. Elle a cette capacité de pouvoir relier mon être à de l’infiniment bon … Elle se dévoile vraiment lorsque ma pensée cherche à aller au delà de l’objet, à éluder le trivial et se fusionner avec un idéal surnaturel. Surnaturel, mais pas inaccessible ! Hors de la nature semble-t-il … et en même temps incroyablement cosmique, puisque la contemplation de l’univers m’aide à vouloir imaginer mon âme s’y fondre pour en connaître toute l’étendue … infiniment … éternellement !
Une âme animée des meilleures intentions ! Justement en latin, le mot pour âme est « anima », et on retrouve la subtilité de cette étymologie et le rapprochement avec le mot aimer dans les deux vers magnifiques : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme … qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? » (Alphonse de Lamartine – Milly, ou la terre natale). Quel rapprochement dynamique entre ce qui semble non animé et ce qui invite à aimer ! Et noter encore la syllabe centrale am - « âme » - du mot dynamique.
Ô mon âme, discrète initiatrice de toute dynamique de création, douce présidente dans l’art des nobles compositions, c’est toi mon âme qui abrite le « moi » qui veut écrire ces lignes avec impatience, tandis que mon « je » y mets tout son cœur !