…UN DIEU BIENVEILLANT ?
Étape 28 / dimanche 24 mai / Lauzerte
Il pleut à verse en ce dimanche : que je suis content d’avoir pris la résolution de m’arrêter un jour sur sept ! Je vois d’autres pèlerins plus avides de résultat endosser leurs anoraks avant quitter le gîte en maugréant que leur étape ne va pas être une partie de plaisir. Tandis que moi, je déambulerai au sec sous les jolies arcades qui bordent la place supérieure de Lauzerte, la Place des Cornières. Vraiment, ces trottoirs abrités tombent à pic : dois-je y voir un signe de bonté de la part d’un Dieu bienveillant ?
En arrivant à Lauzerte, j’ai encore changé de département : après le Lot, me voici dans celui du Tarn-et-Garonne. Je calcule à partir de mes notes : j’ai fait 160 km depuis Figeac, et 600 km depuis Morestel. Et je relis le fil des pensées de ma dernière semaine :
« Appel de présence en beauté, par amour, au bonheur de renaître à un Dieu bienveillant ? »
Moi qui essayais de me débarrasser du carcan du passé, serais-je donc en train de me cadenasser à nouveau, voyant de la bienveillance là où il n’y a peut-être qu’une apparence de bienveillance ? Oui, suis-je à nouveau en train de tomber sous un effet de charme qui n’existe pas vraiment dans l’absolu ?
Ce trait de bienveillance que j’attribue à un Dieu, existe-t-il vraiment, ou bien me plais-je simplement à l’imaginer. Serait-ce encore une machination de la part des auteurs des Écritures ? Ils auraient su inventer l’idée d’un Dieu qui nous aurait créé à Son image. Et ils l’auraient inventé … « bienveillant » … aux seules fins de « Lui » complaire et ce faisant, se sentir plus sûrs à Lui être asservi ?
Car la rose n’est pas belle en soi dans l’absolu. Elle l’est relativement à la conscience de celui qui l’apprécie : parlez-en au jardinier qui taille les massifs et se pique les avant-bras ! Son opinion quant à la beauté et le charme de la fleur diffèrera sans doute de celle de la belle à qui vous offrez une de ces roses le jour de la Saint-Valentin !
Ceci dit, le dessin contourné des pétales, leur couleur plaisante, le parfum qui s’en dégage, leur douceur au toucher et leur vulnérabilité à tout geste trop brusque, permettent à la fleur de rose d’être comparée à la beauté féminine et de devenir un symbole quasi universel de l’amour qu’un homme peut porter à une gente dame.
Et moi, dont la vie a été délicatement préservée au début de cette semaine, quand mon bâton de marche s’est brusquement cassé, est-ce que je peux m’attribuer à moi tout seul le réflexe d’avoir basculé en arrière sur le chemin plutôt qu’en avant dans le ravin ? Comme la balle de tennis frappant le filet de Match Point, il s’en est fallu d’un tout petit rien pour que je sois perdant plutôt que gagnant. Était-ce un petit coup de pouce bienveillant au bon moment ? Un délicat présent, un cadeau, et si oui, de la part de qui donc, grand Dieu ?
Se peut-il que la beauté de la rose est elle aussi magnifiée par une bienveillante lueur analogue à celle qui vient de me faire réaliser combien ténu est le fil qui me relie à la vie ? Beauté et survivance qui seraient donc dues à un phénomène extérieur, venu du dehors, au lieu d’être intrinsèques, jaillies de l’intérieur. L’Envers plutôt que l’Endroit ?
Il est bien difficile de décider si oui ou non la réalité de cette bienveillance extérieure existe, quand on observe la quantité de fois où elle ne se manifeste pas : regardez les causes de désespoir que beaucoup rencontrent, la faim dans le monde, les calamités qui s’abattent, les épidémies et autres atrocités. Si jusqu’ici, pour des causes qui ne me sont pas évidentes, j’ai été épargné, dois-je conclure à une bonté sélective, qui distribue gratuitement mais parcimonieusement et « à la tête du client » un certain capital limité de bienveillance ?
Me voici à naviguer entre optimisme et pessimisme : ai-je tant que cela le profil du bon client, et pourquoi donc ce réservoir de grâce serait-il limité ? S’il l’est, par quel coup de chance ai-je réussi à en tourner le robinet au bon moment ?
Je ne me souviens pas, mais alors pas du tout, d’avoir consciemment mérité ma survie lorsque mon bâton s’est brisé, mais je me souviens bien qu’à Figeac, je m’étais plutôt senti « appelé » à faire étape vers Rocamadour. Or, si j’étais mort près de Rocamadour, quelqu’un de mes proches aurait-il attribué ma mauvaise fortune à un aveugle destin, ou bien aurait-il accusé plus précisément ma décision de m’écarter de la route plus directe de Figeac à Cahors ? « Mais pourquoi donc fallait-il qu’il aille à Rocamadour ? »
Ainsi, je résume : je me sens appelé à faire un détour ; en le faisant je réchappe comme par miracle à un accident de parcours ; et je perçois cela comme le don gratuit d’un Dieu bienveillant à mon égard. Voilà une bonne raison de continuer à accepter tout appel que je ressens et qui pourrait bien venir de Lui. Lui ? Une personne ? Un Dieu personne ? Voilà un nouveau visage que le tout petit miraculé que je suis ferait bien de mieux scruter avec une plus grande attention pendant ses prochaines étapes !
Itinéraire de Saint-Alban-sur-Limagnole à Figeac (3ème semaine) et de Figeac à Lauzerte (4ème semaine).
La décapitation de sainte Catherine (musée des Arts Antiques de Lisbonne),
qui fut martyrisée pour avoir préféré l'amour du Ciel à celui de l'empereur :
elle fut appelée au bonheur de renaître en la présence de Dieu,
faisant complétement confiance en sa bienveillance !.