…DE RENAÎTRE À…
Étape 27 / Samedi 23 mai / De Lascabanes à Lauzerte / 22 km
Oui, décidément, je suis tout revigoré depuis que j’ai fait le choix de faire le détour par Rocamadour. La frayeur que j’ai eue juste avant d’y arriver y a contribué. Quand mon bâton ne m’a plus soutenu après avoir cassé, j’aurais pu basculer dans le ravin, et qui sait ce qui serait arrivé ensuite ! Mais je suis sain et sauf, et non seulement vivant, je me sens comme une nouvelle jouvence à gambader sur le chemin : c’est presque une renaissance !
Toute cette énergie que je ressens, résultant de près de 3 semaines à me rôder dans la marche, me catapulte vers l’avant. Et de plus en plus ignorantes du poids de mon sac, mes jambes plus musclées semblent avoir des articulations mieux huilées. Du coup, dans ma tête, le moulin de mes pensées turbine à plein régime sans se soucier du corps qui la supporte. Le fait que je ne progresse pas dans l’aboutissement de bon nombre de mes questionnements me gêne de moins en moins : au contraire, cela me semble de plus en plus une routine presque délassante. Comme si, paradoxalement, chercher fatiguerait moins que trouver !
Ce sentiment que je nais de nouveau, ce n’est pas la première fois que je le ressens. Il m’est venu à certaines étapes importantes de ma vie : l’entrée au pensionnat – où il fallait me réinventer sans la proximité de mes parents ; l’arrivée dans la ville où j’ai fait mes études supérieures – où je disposais pour la première fois d’une liberté d’adulte ; l’entrée dans la vie matrimoniale – où tout d’un coup mon 1 devenait ½ (voir explication deux étapes ci-dessus). À chaque fois, il avait fallu de l’audace et du courage pour faire face.
Et aujourd’hui encore, ma renaissance semble être le presqu’aboutissement à une meilleure connaissance de ce qui distingue un adret d’un ubac, un envers d’un endroit d’une même montagne ! Je m’explique : je me sens monter vers quelque chose, je suis encore dans l’ombre et l’incertitude côté nord. Je ne sais encore ce qui est de l’autre côté. Mais je sais que je m’en rapproche, qu’il y aura alors, côté sud, beaucoup plus lumière et d’évidence.
Deux pentes d’une seule montagne, comme les deux faces d’un même miroir, impliquent dualité mais aussi complémentarité ! Il faut oser gravir ; il faut oser contourner pour mieux voir les choses en face. Et cette libre audace contribue à ma nouvelle naissance, à ma renaissance ! En progressant vers le haut, j’ose sortir de la confortable mais plate vallée où mes intimidants catéchistes m’avaient cantonné. Prenant de la hauteur, j’ose poser des questions sur le « vrai » de la religion qu’on voulait m’inculquer.
Essayant de contourner le miroir, je prend le risque de briser la lisse et bien sage image qu’on voulait de moi. Qu’importe ! Je me sens sur la bonne voie, celle où une adhésion plus librement consentie ne reniera pas forcément l’inertie de mon passé mais ouvrira de façon plus vivifiante, lumineuse et éclairante, mon avenir. Cet avenir, scintillera-t-il alors plus pleinement, comme une étoile au dessus d’un champ ? Campus stellae ? Compostelle ?
Je nage encore dans le doute, mais j’ai déjà dégrossi certains concepts. Le gros de mes pensées semble s’orienter vers un peu plus de convergence. Sauf qu’un doute insidieux peut facilement revenir à la charge de façon lancinante. Puis-je vraiment renaître à un avenir plus certain sans dénier complètement le passé ? Et ce passé, s’il était à refaire, saurais-je aujourd’hui mieux le gérer ?
Qu’importe pour l’instant, ces vacillations dérangeantes ! Me voici au pied de la bastide de Lauzerte, et j’y grimpe hardiment, toujours sur la même lancée revigorante. Il sera bon d’y faire ma halte dominicale et de trouver dans cette agréable bourgade une conclusion à cette quatrième semaine de mon pèlerinage – où j’ai été appelé à mieux cerner beauté et amour, et à renaître au bonheur en ressentant comme une présence à mes côtés …