…PAR AMOUR…

Étape 25 / Jeudi 21 mai / De Labastide-Murat à Cahors / 32 km

 

Ce mot « amour » qui fut la conclusion de mes méditations d’hier sur la beauté sera aujourd’hui le noyau de mes cogitations ambulantes. Comme le noyau d’une cerise ! Non pas que je veuille en croquer le fruit à toutes les sauces … Ce mot « amour » est un mot tellement galvaudé, qu’on prend peur à le mettre en valeur. Tant de notions disparates l’ont gardé au fil des temps ou bien trop vert, trop galant, ou au contraire trop mûr, presque pourri à en donner un haut-le-cœur !

 

Alors que la religion l’érige en suprême vertu, les poètes le glorifient. Ils font de lui une idole aux images quelquefois plaisantes, souvent chatoyantes, mais, hélas, généralement déprimantes car trop kitsch. Les éducateurs s’en méfient et parlent du piège de l’amour. Oui, que nous soyons enfant, parent, conjoint, compagnon, partenaire ou « fidèle », nous savons bien que ce mot, qui évoque un sentiment naturel, peut autant mener à la joie sublime qu’à l’amertume … Cerise ou amère merise ?

 

C’est comme si, y ayant goûté fortuitement, et voulant en répéter l’expérience goûteuse, la recherche plus active de ce sentiment agréable en gâte assez vite le résultat. Et la déception qui suit rassemble plus souvent en une vague confrérie la majorité maussade de ceux qui ont subi « le mal d’amour », alors qu’au contraire « le véritable amour » se voudrait de tous nous unir comme des frères ! Allez comprendre !

 

Chutes d’Iguaçu, Amérique du Sud

   Chutes d’Iguaçu, Amérique du Sud

 

Mais, ne suis-je pas en train de mélanger les effets de l’amour avec sa source ? Car si on remonte tous ces ruisseaux qui semblent se tarir en plein désert, ne retrouverait-on pas en amont les ramifications de rivières au débit plus généreux ? Ces rivières, ne pourraient elles pas toutes être issues d’un unique et gigantesque exutoire, seul trop plein d’un immense réservoir dont la profondeur est insondable ?

 

Le désert, c’est cette propension à vouloir se suffire à soi-même, en pompant tout ce qui pourrait servir à le faire. Pomper tellement que l’eau vive disparaît ! Résultat : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé   » (Alphonse de Lamartine – L’isolement). En langage mathématique, ce beau vers déplorant la destruction d’un couple parfait se traduirait par :


« 2 – 1 = 0 » … ce qui oblige à penser que « 2 = 1 » … ce qui doit être exact …
car, dans un beau couple qui ne fait virtuellement qu’un, chacun des deux admet que …
l’autre est sa meilleure moitié ! … « 2 = ½ + ½ » 

 

Paradoxe ! Et plus encore que l’on ne pourrait croire au premier abord. Car en amour vrai, on ne compte pas, on donne sans souci de reconnaissance ni espoir de retour. À tel point que l’exemple suprême est de donner sa vie pour celui qu’on aime. À la fin, si l’un des deux amants a disparu, celui qui reste dit que la vie pour lui n’existe plus : « 1 = 0 » ! Il reste seul et unique mais il ne vaut plus rien. Tragi-comique logique digne du regretté Raymond Devos ! [Humoriste comédien franco-belge (1922-2006)]

 

Plus sérieusement, un amour fondé sur une base de confiance, d’échanges et de promesses tenues, fait grandir les êtres humains qu’il rapproche. En cela, il est une force, un courant qui transporte au delà de soi-même, et qui peut faire fleurir le désert… Dans l’image des ruisseaux d’amour se tarissant au désert, nous pouvons aussi voir en leur disparition, non pas la nostalgie d’un amour perdu, mais au contraire la beauté d’un amour fou qui féconde au moment où il cesse d’exister … Amour fou, amour à en perdre la tête, au figuré … comme au propre, si on songe à l’exemple édifiant de nombreux innocents martyrs qui voyait en leur décapitation leur porte d’entrée vers Celui avec qui ils ou elles voulaient passer leur éternité. Pour eux, la force d’attraction vers le Créateur dépassait la peur de la douleur, et de la mort !

 

« Tant d’attraction », me dis-je (avec gravité, bien sûr), « est-ce une courbure déformante et spirituelle de l’espace-temps ? » Pour le tout, c’est le « cas » d’être étonné d’arriver au but de l’étape, tant d’intenses pensées m’ont mis « hors » de moi : « Cahors, m’y voilà ! »

 

 


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