…EN BEAUTÉ…

Étape 24 / Mercredi 20 mai / De Rocamadour à Labastide-Murat / 26 km

 

Quittant Rocamadour vers le sud, je me retourne pour admirer encore la somptueuse falaise où des châteaux dominent des sanctuaires qui surplombent des maisons médiévales. Ce site tout en hauteur éclate de beauté dans sa pittoresque verticale, et de loin s’assimile à une gigantesque carte postale. Je me pose encore un long moment pour apprécier cette légendaire splendeur calée entre le bleu rose du ciel matinal et le vert de gris du val d’Alzou. Plus près de moi, des gouttelettes de rosée scintillent alors que le soleil se hausse pour illuminer la scène. Ces perles font au tableau un chevalet unique et enchanteur !

 

Ah ! Beauté ici accessible, pure et gratuite, qui m’est donnée en présent pour justifier la fatigue de ma longue étape d’hier et ce détour décidé librement ! Au sanctuaire, je me suis senti porté à dire merci d’être sorti sauf de ma glissade survenue plus tôt dans une raide descente. Ce matin, une bouffée intérieure de gratitude monte encore en moi devant l’enchantement visuel qui m’est donné. Cette beauté qui m’émeut est comme une présence irréelle qui daigne secrètement se donner à moi. L’unité entre mon être et cet absolu qui lui est extérieur est vraiment réelle : j’en éprouve l’ordre bienfaisant, l’esthétique désarmante et l’immense pureté.

 

Je ressens comme un appel à me noyer dans cette beauté, comme si je ne pouvais avoir aucune crainte d’y communier. C’est comme si j’étais un bourgeon qui veut craquer pour tout d'un coup s’épanouir et se régaler de la lumière et de la chaleur du jour, révélant alors les pétales d’une incomparable fleur. Je frissonne de bien-être, je savoure l’intensité de mon émotion, pleinement accessible à l’onde de joie paisible qui m’enveloppe.

 

Les bêlements et les sonnailles d’un troupeau de brebis qui s’approchent, accompagnées d’un berger sifflotant sur son vélo, m’éveillent de mon engourdissante torpeur, et je me remets à marcher. Me voici à réfléchir à ce qui émeut dans la beauté, cette chose impalpable qui peut se décliner de tant de façons d’un individu à l’autre : beauté des panoramas et des grands espaces pour l’un, de la joaillerie et de la fine horlogerie pour l’autre, l’œuvre d’art classique pour l’un, moderne pour l’autre, le Lac des cygnes ou bien Béjart, etc …

 

Est-ce vraiment un appel de l’extérieur qui vous émeut ainsi, chacun de manière différente, ou bien est-ce l’individu qui décide depuis son fors intérieur ce qui est beau ? Reçoit-on la beauté, ou bien au contraire est-ce que nous la projetons ? Ce qui est grandiose pour l’un peut sembler bien piètre pour l’autre. Mais l’effet qui est produit par l’impact de ce qui est beau est sans doute plus comparable d’une personne à une autre : un saisissement, une sérénité nouvelle, une adoption instinctive, et une adhésion !

 

Je remarque aussi combien il faut d’éléments à la beauté paysage pour faire un tout qui me ravit, et comment je ne peux décider ce qui peut s’enlever sans en diminuer l’intensité. À la fois multiple et une, ma compagne la beauté, quand elle se montre sans prévenir, n’arrête pas de surprendre et de me redonner goût à l’existence. Maintenant ce n’est plus la carte postale Rocamadour, mais c’est le vieux moulin à vent de Carlucet qui surgit derrière une haie. Plus loin c’est une brebis aux doux yeux noirs allaitant son amour d’agneau impatient.

 

Ça y est, le mot « amour » m’est venu subrepticement alors que je tentais seulement de déchiffrer la « beauté » : comme si le langage de la beauté invitait à y voir une manifestation d’affection venant de plus grand que soi … ou peut-être au contraire surgissant d’un tout petit tréfonds de moi-même porteur d’un tel trésor qui ne demande qu’à être ouvert ! Je me remets à rimer : « Beauté … amour … venez … toujours ! »

 

 


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