APPEL…
Étape 22 / Lundi 18 mai / De Figeac à Lacapelle-Marival / 21 km
Je compose un petit bout rimé en attaquant à l’aurore le chemin de grande randonnée N°6 qui va me conduire par Lacapelle-Marival vers Rocamadour : « Au prime abord ce fut Cahors où j’aurais dû m’être rendu ; ah mais voilà ! pour qui ? pourquoi ? j’ai viré de bord par le tribord ; étrange appel : par Lacapelle, je m’en vais pour … Rocamadour ! »
Je réfléchis à cet appel qui m’est venu de vouloir changer de direction. Je n’ai pas voulu tirer à pile ou face pour prendre ma décision : j’avais déjà dans mon inconscient la vague idée que si le sort m’avait alors indiqué de continuer tout droit vers Cahors, je m’y serais soumis avec regret. Y a-t-il eu alors vraiment un appel externe à ma volonté pour me guider dans cette nouvelle orientation ? Et si j’ai l’instinct que j’aurais pu avoir été déçu de n’avoir pas fait ce choix, cela veut-il dire qu’il y avait déjà inscrit en moi comme un manque, une curiosité qui était comme une soif qu’il fallait étancher, une question à laquelle il fallait répondre ?
Pourquoi ce désir, pourquoi cette soif ? Pourquoi cet appétit d’une possible joie intérieure qui m’aurait manqué si je n’avais pas essayé d’y satisfaire ? C’est comme si mon être sentait un besoin d’être reconnecté à une source à la suite d’un éloignement primordial qui aurait laissé asséché un coin de lui-même. Étrange désir que de vouloir retrouver la plénitude d’un moi écartelé, mis en quartiers ! Quel drôle d’appel, celui de vouloir fusionner avec une unité originelle à laquelle on aurait soustrait un petit quelque chose ? Petit détour, que me réserves-tu donc ?
Qui donc de tout temps aurait, dès avant même le « Big-Bang », construit cette unité originelle capable de laisser l’impact d’un « manque à combler », d’un petit vide dans mon subconscient ? Attention au vide ! « Mind the gap »: c’est l’appel sécuritaire que l’on n’arrête pas de répéter dans le métro londonien, en parlant de l’espace entre la plateforme et la voiture … Me voilà encore à « envisager » l’idée d’un dieu à qui je me dois de me soumettre si je veux éviter ce vide. Le « visage » de ce dieu, pourrais-je mieux le « dévisager » par mon détour ? Est-ce parce que la réponse à cette interrogation existe que je veux la rechercher ? Ou est-ce parce que je la recherche qu’elle existe ?
Force est de constater que si ce dieu est le Dieu des Écritures, je lui en veux de s’être montré en toute clarté à certains qui voulaient le voir, et beaucoup moins à moi qui voudrait tant sculpter son visage avec plus de certitude … Suis-je en train de chercher la clé de ma frustration sous un lampadaire qui m’aveugle, alors que ce n’est pas sous cette lumière qu’il faudrait chercher cette clé ? Cela me fait penser au soleil à qui je dois la lumière vers laquelle mon œil est attiré. Et pourtant je ne peux le dévisager face à face sous peine d’être aveuglé ! Voilà qui explique sans doute le grand respect des anciens Égyptiens pour leur divinité solaire Rê, et peut-être la révélation qui a agenouillé Moïse devant le buisson ardent.
Mais si mon appel ne fait que vouloir rétablir une unité primordiale dispersée, alors c’est que « je » fais encore partie de cette unité écartelée. Donc, ce « je », ce « moi », n’a logiquement pas moyen de dévisager, pour la sculpter, cette statue dont il fait partie … Dilemme !
Serait-il plutôt, ce Dieu de la Bible, Celui dont on peut entendre la parole ? Les Moïse et d’autres prophètes l’auraient clairement entendu quand ils ont rapporté ses paroles dans des écrits. Mais pour moi, soyons franc, le son de sa parole, tintin ! Sa voix, inaudible ! Sa présence soi disant partout, que dalle ! Aucun soupçon de Lui qui soit manifeste et tonitruant comme un orage éclairant le mont Sinaï ou des éclairs gravant des tables de pierre ! Avec moi, Dieu est plus discret qu’un myosotis, plus humble que la fleurette qui chuchote : « Ne m’oubliez pas. » Si mon cerveau sait si bien inventer des incitations à croire ce que j’espère, ne faut-il pas que je me méfie de ces croyances fondées sur le désir ? Des pierres au désert que l’on voudrait me faire prendre pour des miches de pain ? Allez ! Ce n’est pas pour moi !
Mais le désir, c’est aussi la sève de la vie, c’est ce qui me fait vouloir demain plus qu’aujourd’hui. Bien seul en route vers Lacapelle je me dis que demain, Rocamadour, ne sera pas un vain appel ! Je me demande ce que cette étape va me réserver !