…UN DIEU RÉVÉLÉ ?

Étape 21 / Dimanche 17 mai / Figeac

 

Je me fige à Figeac pour un jour, vive le dimanche ! Voici donc trois semaines que je marche et j’ai 140 + 141 + 159 = 440 km dans mes jambes qui se révèlent de plus en plus aguerries. Au fond, il suffisait d’y croire, de se décider, et de se mettre en route. Le cheminement s’est révélé moins terrifiant que je ne l’aurais cru la 1ère semaine, et je me suis déjà senti plutôt sauvegardé et même guidé dès la 2ème. J’ai changé de région cette dernière semaine : « Au revoir, rude Auvergne, et bonjour, plus aimable Quercy ! », transition pendant laquelle je me suis vu gagner une perspective neuve :


« Intuition révélant une éternité transcendante religieusement croyante en un Dieu révélé ? »

 

Cette révélation progressive, ces intuitions nouvelles, ne peut-on les découvrir que sur le chemin classique et direct vers Compostelle ? Que se passera-t-il si je tente un détour ? En m’écartant, me sentirai-je encore « sauveguidé ? » Qu’adviendra-t-il si au lieu de filer droit vers Cahors, je me dirige d’abord vers Rocamadour, ce lieu dont le nom est déjà tout un mystère ? … Aucune raison valable ne semble m’interdire de le faire, cet écart !

 

Ainsi, où est-il, le plus sûr des chemins dans notre vie ? Rien n’est jamais certain, rien n’est jamais prouvé, et rien n’est imposé. Le Dieu des temps bibliques laisse intact le mystère de son existence. Il laisse libre le tout un chacun à croire ou non en sa parole dite révélée. En effet, la bible pourrait toujours être l’œuvre de mystiques supérieurement talentueux et influents. Qu’elle est facile à questionner, l’affirmation que cet insaisissable Dieu éternel se serait temporairement incarné en un frêle humain dont le cadavre n’aurait jamais pris le temps de pourrir ?

 

Mais aux 1000 raisons d’Émile aurait à ne pas croire à ce dieu-là, ne pourrait-on pas opposer les 2000 raisons que Vincent, adoptant une logique et une direction opposée, pourrait lui soumettre en souriant ? « Je ne sais pourquoi, mais je parie que moi je retrouverai toujours mon mouchoir deux fois plus que toi !  Mon dieu est à mon côté, bien plus que le tien du tien ! Le mien, c’est le vrai Dieu ! » Vincent éclate de rire ; Émile, dénigré, se sent impuissant.

 

Blaise Pascal (1623-1662) a ainsi lancé un fameux pari, du même genre que celui de Vincent : « Rira bien qui rira le dernier ». C’est ma version en abrégé de ce qui peut récompenser celui qui fera le pari de la résurrection. Car si vous gagnez, vous gagnez tout (Les Pensées, fragment 233, édition Brunschvicg) ! Et si vous perdez, s’il n’y a vraiment plus que du néant après la mort, alors vous ne perdez rien ! Ainsi présenté, n’est-il pas raisonnable de se donner la plus grande probabilité de rire … ad vitam aeternam (pour la vie éternelle) ?

 

Et pourtant, ce piège de la circularité qui amène Vincent dans ses deux mille passages auprès de son mouchoir à supposer que « son » dieu existe puisque sa confiance à retrouver son mouchoir n’a jamais été déçue. C’est le même piège qui verrouille l’autorité religieuse à dire avec fermeté : « Croyez, vous n’aurez rien à perdre et cette révélation nous vient du Dieu dans lequel il faut croire !  Le jeu en vaut la chandelle ! » Qu’il a bon dos, ce dieu-là !

 

Dieu de Vincent, Dieu de Blaise Pascal, où te cachais-tu quand les aborigènes d’Australie développaient leur cultes et leurs rites animistes, il y a au moins 35'000 ans de cela ? … Comme le firent indépendamment mes très anciens aïeux, hommes des cavernes, ici en Europe. Parce qu’ils ignoraient tout de ce Dieu de la Bible, pourquoi rabaisserions-nous leur spiritualité qui les entraînait à voir des êtres animés dans tous les dangers de leurs forêts ? Était-ce toi qui leur révélais déjà ces dessins de Lascaux au symbolisme mystérieux, qui contribuèrent peut-être à leur survie par la transmission de meilleures techniques de chasse ? Voulant sortir indemne du piège circulaire que le visage d’un Dieu révélé pourrait produire, je prends mon burin, et le fais voler en éclat, comme je l’ai fait plus tôt avec le visage du Dieu terrifiant ! Bon, où vais-je aller maintenant que je suis plus libre ? C’est décidé, détour ! Rocamadour !

 

Itinéraire de Saint-Alban-sur-Limagnole à Figeac (3ème semaine) et de Figeac à Lauzerte (4ème semaine).

Itinéraire de Saint-Alban-sur-Limagnole à Figeac (3ème semaine)
et de Figeac à Lauzerte (4ème semaine).

 


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