…CROYANT EN…

Étape 20 / Samedi 16 mai / De Decazeville à Figeac / 24 km

 

Était-ce la vue de la noirceur qui subsiste encore derrière les façades des anciens logements miniers de Decazeville qui m’a fait finir la journée d’hier par une critique plutôt acerbe de la religion, des religions ? J’ai alors cassé du sucre sur le dos de soutanes trop noires et trop masculines à mon goût. Mais cela ne contribuera en rien à leur faire retrouver la blanche pureté d’intention qu’on voudrait leur prêter dans l’exercice du verbe. Allez, oublions cet emportement, et redevenons doux … comme le sucre ! Aujourd’hui, je vais encore changer de département en pénétrant dans celui du Lot après avoir traversé la rivière du même nom.

 

Mais cette saute d’humeur me fait poser la question : « Ce en quoi je crois vraiment, qu’est-ce que c’est au juste ? » Partir vers Santiago, était-ce un acte de foi, plus qu’un défi sportif ? Je me rappelle l’histoire de Jacques, saint Jacques, « san’t Iago », celui dont les ossements sont vénérés, là-bas à Compostelle. Jésus lui a demandé à lui et à son frère Jean, de tout quitter pour le suivre. Et eux, les deux fils de Zébédée, l’ont fait aussitôt (Marc 1 : 19-20). Il faut dire que quand on a seulement un filet à quitter, et que la barque d’où vous pêchez sur le lac de Tibériade appartient encore au paternel, c’est plus facile d’accepter l’invitation : « Abandonne tout et suis moi ! » Elle venait d’un homme à l’allure engageante, même s’il ne montrait guère de ressources.

 

On sait que plus tard, Jésus n’obtiendra pas la même réaction de la part d’un jeune homme riche et qui avait des biens (Luc 18 : 18-23). Mon problème ? Puisque j’ai du mal à accepter certains aspects d’une certaine « sainte Église », ai-je foi en Son fondateur ? Ma vie montre que je n’ai pas tout quitté pour suivre un de Ses représentants sur terre.

 

Ai-je de la foi en Dieu ? Un peu ? Beaucoup ? … Pas du tout ? Et cette foi, est-elle de croire en Son existence, ou vais-je plus loin et accepte la vérité de Sa révélation ? Mon éducation religieuse, l’étude de l’histoire sainte, sont loin derrière moi. J’ai eu le temps depuis de tâter de la science. Celle-ci semblant réussir sans problème à se passer de Dieu, n’est-il pas sain de re-soumettre ma foi à la question, comme on questionne toute théorie contestable ?

 

Je pense que tout cela fait partie des raisons de ma mise en chemin : trouver le temps de vérifier si le concept de Dieu tient debout ou pas, s’il y a statue ou tas de cailloux. Je ne serai pas le premier à vouloir affronter le problème de façon radicale : regardez Saul de Tarse, devenu Paul, regardez Charles de Foucauld, devenu petit frère de Jésus. L’un persécutait ceux qui mettaient en doute le système de pensée des pharisiens, l’autre menait une vie insensée et scandaleuse, jusqu’à ce qu’une abrupte remise en question leur fasse tous deux prendre un tout autre chemin. Et alors, combien ont-ils voulu comprendre avant de croire ! Ils prirent alors un long moment de solitude au désert et trouvèrent dans l’érémitisme les moyens de consolider leur conviction à témoigner dans les plus lointaines contrées.

 

Mais je vois bien aussi, en Paul comme en Charles, qu’il y fallut un choc déclencheur pour qu’ils se sentent l’envie de comprendre la vie de façon nouvelle : le chemin de Damas pour l’un, la rencontre de l’Islam au Maroc pour l’autre. Paul fut abattu de son cheval par la vision de Celui qui motivait les adeptes de « la voie de Jésus » à se laisser martyriser pour leurs croyances. Charles, lors d’un voyage clandestin pour reconnaître la géographie du Maroc, fut bouleversé par la sincérité des musulmans locaux à vivre de la présence continuelle de Dieu dans leur vie.

 

La foi du charbonnier fait bien envie tant elle paraît peu contraignante. Mais certains qui ont la chance (malchance ?) de l’avoir, exhortent les autres à renoncer à réfléchir. Leur prétexte : ce serait injurier Dieu que de mettre en doute son existence ou sa révélation. Ils prennent la route d’un engagement irrationnel très capable de conduire au fanatisme. Entre « croire pour comprendre » et « comprendre pour croire », je préfère la deuxième alternative.

 

Mieux que « d’avoir la foi », je veux entrer dans le processus « d’être dans la foi ». C’est ce que je me souhaite en entrant dans Figeac. Jean François Champollion (1790-1832) y vit le jour. Les hiéroglyphes d’Égypte se révélèrent pour lui moins impénétrables que les voies du Seigneur. Puissé-je à mon tour y déchiffrer, ne serait-ce qu’un seul caractère, le mien ! Et mieux comprendre ce qu’il croit et ce qu’il ne croit pas, ce drôle de caractère !

 

 


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