…STRUCTURE…
Etape 13 / Samedi 9 mai 2015 / De Monistrol-d’Allier à Saint-Alban-sur-Limagnole / 35 km
Chapelle de la Madeleine à Monistrol-d’Allier
Le rude chemin à forte pente que vous trouvez au sortir de Monistrol après avoir franchi l’Allier vous amène, en moins de deux kilomètres, à la chapelle de la Madeleine. Plus modeste structure que celle dédiée à sainte Marie-Madeleine dans le massif de la Sainte-Baume, cette construction troglodyte s’imbrique à une grotte dominée par une falaise torturée de basaltes. Pour les admirer, ces pierres volcaniques qui rendent honneur au passé volcanique de l’Auvergne, il faut bien haut lever la tête. Me voici à songer à ces forces incroyables qui ont réussi à modeler ces roches cristallines presque aussi dures et cassantes que le silex. Des forces bien supérieures à celle que je dois employer pour lever la tête !
Grande ou petite, mystérieuse et gratifiante, je ressens fréquemment une force qui élève mes pensées, comme celle qui a élevé les pensées de ceux qui ont créé des mythes, des croyances, et des chapelles ! C’était sans doute la même force qui animait ceux qui dans mon enfance ont éveillé en moi le sens du « divin », et qui m’ont incité à étudier le lien possible vers Dieu que l’on appelle religion : ma mère, puis des catéchistes, puis des prêtres.
Au collège où je devins pensionnaire dès l’âge de 8 ans, certains prêtres qui enseignaient cette science de la religion savaient aussi enseigner les mathématiques ou la langue latine ou grecque. Conséquence : je mettais plus ou moins tous ces enseignements sur le même plan. Et arrivé à l’âge adolescent, j’éprouvais de l’admiration pour la pureté complexe des mathématiques, et leur application utile en physique ou en chimie. Mais j’étais alors plus enclin, en mon fort intérieur, à rejeter l’apparente inutilité de la conjugaison latine ou de la grammaire grecque.
Au même titre, je cherchais à me libérer des contraintes de la religion. Car même si celle-ci permettait maintes fois à mes pensées de s’élever à un certain degré d’exaltation très plaisant, elle obligeait en contrepartie à une discipline morale que mon corps, facilement ravi de jeunes émotions jusqu’ici inconnues, cherchait par tous les moyens à éviter ! On essayait d’édifier en moi une structure solide, multi disciplinaire. On me plombait de préceptes rigides, soi-disant éclairant et « structurant » mon avenir. Mais une certaine confusion naturelle également jaillie du plus intime de mon être me poussait à me recroqueviller et m’esquiver …
Il y avait un décalage entre mon intime et ce que l’on désirait de moi. Et quoique je me sois plû ensuite à affirmer que ces années de collège n’avaient eu qu’une faible influence sur moi, je crois que je me mentais à moi-même : elles sont restées longtemps la cause d’un certain désarroi. Désarroi que j’éprouve encore, sans doute, puisque l’une des raisons pour lesquelles je me suis mis en chemin est de mieux l’analyser, de la manière la plus objective que possible ! Et grande est l’impatience d’arriver aux conclusions de cette analyse qui j’espère sera impartiale …
Entretemps, je trouve que je progresse bien lentement dans l’étape d’aujourd’hui, et signe de cette impatience à arriver au bout du chemin, j’arrête un autochtone pour vérifier où je suis. Pourquoi cette impatience à fleur de peau ? Je me voulais débarrassé de toute urgence, je voulais être « zen », prendre les choses comme elles viennent, lors de ce pèlerinage. Quel est ce besoin de rencontre quand je voulais ma démarche solitaire ? Pourquoi ce prétexte intuitif montrant un impérieux besoin de me rassurer ? Quelques enjambées plus loin apparaît un de ces nombreux panneaux guides portant la fameuse coquille Saint-Jacques, ce qui prouve bien l’inutilité de mon anxiété.
Il m’accompagne encore ce désir inné de ma jeunesse de vouloir tout, tout de suite, et avec le moindre effort, et de me croire capable de distinguer la recette idéale pour me structurer de façon sûre et définitive. Qu’il est difficile de faire preuve de patience, de faire confiance ! Et pourtant, que de fois dans ma vie ce furent des évènements inopinés qui ont orienté d’importants changements de cap bénéfiques !
La modeste chapelle que j’ai vue ce matin sous le magma figé et ployant de ses orgues de basalte m’a invité à voir plus haut, plus grand. Oui, son image s’agrandit en moi, au point que je me la représente devenant une cathédrale dont les voutes immenses défient l’impitoyable joug de la force de gravité. Avec ses pilastres et ses arcs-boutants, voici bien l’image d’une dynamique structurante aux volumes considérables et qui rendent célestes et aériennes les intentions de ses bâtisseurs. Instinctivement, je lève mes yeux vers la voûte céleste, et je me complais à imaginer le plafond de ma cathédrale.
À ce moment, « Flap, flap, flap ! », un passage de pigeons ramiers fusant à vive allure m’inspire l’enchaînement : « oiseau » -> « plume » -> « écriture ». Vite, il faut retenir ces pensées débridées avant qu’elles n’émigrent. L’écriture leur permettra de se poser plus visibles sur un fil moins ténu. L’exercice sera de nature à me structurer. Je sors mon crayon et mon calepin !
Prudence, cependant, il faudra éviter les affirmations abruptes et tranchantes, si je ne veux pas le couper ce fil porteur qui permettra à d’autres pigeons de s’y arrêter ! Leur compagnie sera agréable à imaginer. Mais sera-t-il solide ce fil rassembleur ? Il est trop facile de croire à l’apparente robustesse de ce qui évite l’effort de constamment se remettre en question !
En tout cas, je me suis prouvé aujourd’hui d’une structure plus robuste que ne l’aurai cru : en arrivant à Saint-Alban-sur-Limagnole en ce samedi soir, je réalise que j’ai fait la plus longue étape jusque là réalisée depuis mon départ. J’ai fait 36 km, presque 48 000 enjambées. Je n’ai jamais construit de cathédrale. Mais si j’ose comparer mon pèlerinage à un tel édifice qui, une fois terminé, comportera des centaines de colonnes, je peux me dire que la colonne achevée aujourd’hui est de fort belle taille, et faite de bien nombreuses pierres de taille ! Suis-je donc continuellement en construction ?
J’ai fait 140 km la première semaine et 141 km la deuxième semaine. Ce voyage à pied qui semblait terrifiant au départ devient de plus en plus de la routine : c’est en forgeant qu’on devient forgeron ; c’est en posant une pierre après l’autre que l’on devient maçon ! La pratique est mère du succès !