…PROGRAMMÉ…

Etape 11 / Jeudi 7 mai 2015 / De Saint-Front au Puy-en-Velay / 26 km

 

Le lac presque parfaitement circulaire que j’ai longé hier avant de découvrir Saint-Front est beau à voir mais son humidité favorise l’éclosion des œufs de moustiques. Ne voilà-t-il pas qu’un seul de ces insectes a gâché l’ambiance du gîte où je me réjouissais de passer la nuit en solitaire ! À peine ma lumière éteinte, ce petit être s’évertuait à danser une sarabande stridente. Dès que je rallumais, il se posait pour faire silence et se confondait dans le décor. À croire qu’il était programmé pour me faire subir une insomnie. Et ce matin j’ai réalisé que cet effronté a même réussi à me piquer le front ! En poussant plus à fond le jeu de mots, je me dis : « C’était écrit dans mon destin que je subirais un affront à Saint-Front ! »

 

C’était écrit … Puis-je réellement concevoir que de toutes les générations de moustiques qui se sont développées depuis que Noé a eu la mauvaise idée d’en abriter un couple sur son arche, il était écrit que l’un d’entre eux serait programmé à m’importuner spécifiquement en cette nuit de printemps du troisième millénaire après J.C. ? Qui a décidé que son vol erratique viendrait attenter au sommeil de ce pèlerin particulier, venu d’ailleurs sans l’intention de chercher noise à quiconque ?

 

Pur hasard ou implacable programmation ? Parlant de la probabilité d’évolution de la vie à partir de l’inanimé par un phénomène évolutif, Sir Fred Hoyle, fameux mathématicien et astronome britannique, déclarait : "La possibilité que la plus haute forme de vie puisse avoir émergé de cette façon est comparable à la possibilité qu'une tornade balayant sur son passage un dépôt de ferrailleur finisse par assembler un Boeing 747 à partir des matériaux qui s'y trouvent." (Hoyle – Hoyle and Evolution dans Nature, vol. 294, 12 novembre 1981, p. 105).

 

Entre hasard et programme, puis-je laisser se faufiler l’idée d’une intelligente impulsion énergétique qui sache prendre son temps, la durée faisant le reste ? L’apparition de l’espèce humaine est-elle poussée par une aveugle évolution du vivant, ou est-elle bien tirée par une vision précise d’ensemble, une sorte de creuset où s’épure ce qui est malsain, illogique, absurde jusqu’à l’apparition d’une créature plus conforme au dessein / dessin initial ? La deuxième hypothèse, c’est celle qu’avait adoptée le génial Michel-Ange transpirant sur les fresques de la Chapelle Sixtine … Une étincelle divine passant du créateur à sa créature …

 

Une impulsion organisatrice aurait-elle ainsi pris en charge ma destinée individuelle ? Forme-t-elle mon caractère par un flux d’informations dont elle trie au mieux les plus favorables tout en me laissant le choix ultime d’adopter les plus pertinentes, par pensée, par intuition, par émotion ? Si oui, dans quelle perspective ? Retour à une unité originelle sciemment dispersée ? Intégration d’un rouage plus effectif dans un chronomètre permettant éventuellement de mesurer l’éternité ? Affinement d’un dessin encore à l’état de brouillon d’une créature déjà planifiée à devenir exceptionnelle ?

 

Voilà bien ce qui est stupéfiant : ma liberté à inventer toute sorte des schémas possibles à ma raison d’être ! Le roseau pensant … (Blaise Pascal – Les Pensées, éd. Brunschvicg, fragment 347). Et en même temps mon sentiment que j’ai très, très peu de moyens de changer ce qui me paraît inéluctable et déjà écrit ailleurs ! Le roseau ployé par le vent … Mais si le vent est fort, mieux vaut que le roseau soit faible, mieux vaut que ce roseau s’affine au fil des générations, résistant ainsi de mieux en mieux au souffle inéluctable ! Je suis parfaitement – oui parfaitement, c’est un mot incroyable – libre d’entrer ou non dans ce schéma d’affinement, tirant parti de ce que ma mémoire retient et de ce que l’expérience m’enseigne. Libre aussi de vouloir devenir chêne, au risque d’être déraciné !

 

Ô joie, j’arrive au sommet de la colline de Montjoie d’où les pèlerins venus de l’Est découvrent avec bonheur la vue plongeante sur la ville du Puy ! Des panneaux portant le symbole de la coquille Saint-Jacques m’indiquent la bonne direction à prendre pour y arriver. À tout prendre, dans ce pèlerinage décidément révélateur, je crois que je me sens le plus souvent plus « guidé » qu’ « instrumenté », et plus « instrumenté » que « programmé » ! Ultreïa !

 


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