…GUIDÉ…
Etape 9 / Mardi 5 mai 2015 / Du Cheylard à Chambonnet / 15 km
En me couchant hier, j’étais dans un état plutôt euphorique, j’avais fait une marche d’empereur avec mon image de la vague sans cesse poussée vers l’avant par un flux mystérieux, et je m’étais remémoré un sacré poème d’anthologie : « Ainsi toujours poussés vers de nouveaux rivages, dans la nuit éternelle emportés sans retour, ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges jeter l’ancre un seul jour ? »
Mais aujourd’hui je me sens plus inquiet. Mes changements d’humeur, mes états d’âme, ne seraient-ils donc que tranches d’un flux continuel qui me ballotte comme un fétu de paille au creux des vagues ? Où est mon véritable moi dans tout cela ? Acteur ou jouet de ce que d’aucuns appellent le destin ? Ce pèlerinage, l’ai-je vraiment décidé tout seul, ou est-il la résultante de forces mystérieuses qui m’ont poussé à le faire ? Il y a tant de fois dans ma vie où je me suis aperçu rétrospectivement qu’il n’avait fallu qu’un détail infime pour me faire bifurquer dans une direction plutôt qu’une autre, et que ce changement de direction a été alors crucial !
Par exemple, mon dossier initial pour le service de la Coopération ayant été initialement refusé en 1970, je ne serais jamais parti en Afrique si mon ami Alain dont les parents vivaient en Côte d’Ivoire ne m’avait incité à écrire directement au ministère ivoirien de l’Éducation. Cette initiative, inspirée par de l’amitié, fut payante : on accepta mon dossier, je partis, je rencontrai celle qui est devenue la compagne de ma vie. Et c’est elle à son tour qui m’inspira les moyens de partir étudier aux Etats-Unis ce qui me permit de me faire embaucher par Caterpillar !
Ne peut-on pas croire dans tout cela à une providence bienveillante ? Certains y verront non pas un Dieu impersonnel, océan d’éternité, statique et immuable, mais plutôt un Dieu capable de soulever et d’emporter où bon lui semble, flux d’énergie et guide avisé, Verbe porteur et inspirateur permanent.
De plus, que vaut ma contribution personnelle face aux aléas des circonstances ? D’un côté, je n’ose imaginer la quantité de sinistres évités de peu en 32 ans de carrière comportant des millions de kilomètres de voyages. De l’autre, la chance m’a porté bien souvent sous l’aspect d’une information utile qui m’arriva à un moment clé : saisie au vol, elle changea ma course. Et je sais aussi que si je l’avais manquée, elle se serait sans doute perdue pour toujours : le destin a rarement le bon goût et la serviabilité de repasser les plats !
Bien sûr, il y a eu aussi des moments de malchance, mais à tout prendre, ils ne se sont manifestés que dans de modestes évènements, comparé à bien d’autres gens que la destinée ne cesse de frapper d’une catastrophe après l’autre. En moyenne, la vague qui m’a emporté m’a plus souvent sauvegardé que jeté contre les écueils qui abondent !
Ces rencontres importantes dans ma vie, Alain, mon épouse Terry, Caterpillar, furent-elles par pur hasard ? Ou par l’entremise d’une entité tierce qui reste à définir ? Avec le temps qui passe, je peux compter de plus en plus de « mes ? » choix, des choix qui, en y réfléchissant bien, étaient peut être dominés par une main invisible qui me guidait au bon moment !
Au delà de mon passé, encore aujourd’hui, ces rencontres fortuites et déterminantes dans ce que je cherche à entreprendre, ces coïncidences qui se révéleront bénéfiques et utiles, ne sont-elles vraiment que le fruit du hasard, ou bien le résultat d’un guidage subtil et attentionné ?
Je pense au film Match Point de Woody Allen : la balle de tennis frappe la bande du filet, de quel côté va-t-elle retomber ? Dans quelle mesure le coup de raquette m’appartient-t-il vraiment ? Je voudrais bien dire 100% si la balle franchit le filet, et 0% si elle ne le fait pas. Il s’en faut d’un petit millimètre et même encore moins pour que la trajectoire de la balle soit couronnée de succès ou d’échec : je ne peux résister à vouloir une main invisible pour tenir le manche et déterminer le sort de la balle ! Ah, que je la baiserai cette main, guide de ma balle, si elle lui donne ce surcroît imperceptible de hauteur permettant de marquer le point !