…UN DIEU TERRIFIANT ?
Etape 7 / Dimanche 3 mai 2015 / Vernoux-en-Vivarais
Plaque à la mémoire du Jésuite et Cardinal Henri de Lubac,
dont la famille était de Vernoux-en-Vivarais
Aujourd’hui dimanche, à l’image du créateur, qui non seulement jugea bon de se reposer au septième jour, mais qui en fit même un salutaire commandement pour le peuple juif, je m’apprête à savourer un jour sans parcourir d’étape : je ne vais que musarder dans la bourgade très vieille France de Vernoux. Et voici qu’au coin d’une rue, je tombe en arrêt sur la plaque ci-dessus. Clin d’œil venu d’en haut, celle-ci suggère que l’endroit semble bien propice à la réflexion théologique ! Spécialement sur « la connaissance intérieure de Dieu », me dit la plaque ! Terrifiante coïncidence, n’est-ce pas ?
Je me propose de commencer par sortir de mon sac ce que j’y ai accumulé de plus pesant cette dernière semaine, avec la saine intention d’en disposer à la première boîte poubelle du village. Aucun doute, ce qui pèse le plus, c’est la conscience. Cette fameuse conscience qui a fait fuir Caïn. Conscience qui, d’après Victor Hugo, a rejoint le meurtrier d’Abel au fond même du sépulcre où il avait demandé à ses enfants de l’enfermer : « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn ! » (La Légende des siècles - 1859). L’œil d’un Dieu impitoyable, terrifiant !
Je vais faire le point en recollant les points forts de chaque étape parcourue jusqu’ici pendant la semaine de 140 km qui vient de s’écouler :
« De terrain connu en terrain inconnu, à introspecter sans trop inspecter, s’insère, sincère, la crainte d’un Dieu terrifiant ? »
Quittant Morestel, je suis sorti de la terre de mes aïeux. Là-bas le terrain était familier. Les racines de mon être y avaient été nourries, dès mon jeune âge, du terreau ancestral. Ce terreau était celui que mes ascendants considéraient comme le meilleur pour ma croissance et ma sûreté. Je suis parti, tel le fils prodigue, droit à l’aventure.
J’ai ainsi abandonné l’humus qui me faisait croître, où l’on me fertilisait avec un certain amour, mais où aussi, comme une jeune vigne, l’on me taillait de temps à autre, l’on me rabattait … pour mon bien ! On m’y avait infusé les préceptes d’une vie potentiellement pleine de fruits, faisant valoir les coutumes des anciens qui m’y avaient précédé, sans négliger la crainte du châtiment. « Oui, prends garde à la foudre et à la grêle venues du ciel, toi le petit plant qui ne te soucie que de beau et bon temps ! »
Foudre et grêle : la grande question concernant de tels châtiments venus du ciel, c’est si oui ou non ils choisissent leur cible. Tomberont-ils plus sûrement sur les transgresseurs, sur les prodigues qui, comme moi, décident de partir à l’aventure après avoir soldé leur compte avec leur paternel ? Les choix que je vais être appelé à faire, en quittant la terre de mes aïeux et leurs préceptes, vont-ils nécessairement me rendre injuste aux yeux d’une instance supérieure prompte à châtier tout détour ?
Est-ce vraiment la crainte permanente de ce gendarme céleste inflexible et vétilleux qui va à jamais diriger mes parcours de vie ? Pour éviter la chute de cette épée de Damoclès qui se dandine au dessus de tous mes actes, dois-je vite compenser tout écart par un retour et un agenouillement immédiat ? Et ce retour constant à une position d’assujettissement, me méritera-t-il d’éviter les affres du purgatoire voire de l’enfer ?
Mais est-ce bien la réalité, cette image d’un terrifiant tout-puissant réprobateur toujours prêt à fustiger une victime créature ? Ou bien, est-ce le pouvoir religieux lui-même qui l’a inventé, pour mieux asservir par la crainte et la terreur ? Utilisant la peur instinctive bien réelle de l’orage, une hiérarchie humaine ne s’est-elle pas mise en place pour en faire un instrument de domination ?
Ah, qu’elle a été et qu’elle est encore utile, cette menace savamment assemblée en dogmes complexes et contraignants, ce péché originel dont les conséquences vous feront sans cesse plier, carcan dont seuls quelques uns semblent posséder la clef libératrice !
Mais cette peur constante du châtiment entraînant le sujet à peiner dans la patience et la résignation, était-elle vraiment l’intention d’un roi dont le souffle serait plein d’amour et la loi pleine de miséricorde ?
L’animal en moi a, comme par instinct de survie, attaqué le mot « conscience ». Normal, c’est ce mot qui distinguerait l’humain de la bête ! Et les coups de burins ainsi assénés ont commencé à désagréger le visage d’un Dieu terrifiant qui faisait ramper sa créature. Quelques premiers cailloux commencent à joncher le pied d’une statue tutélaire que je suis en train de re-sculpter. Ô mânes de Henri de Lubac, vous parsemez encore sa terre ancestrale !
Itinéraire depuis les environs de Morestel à Vernoux-en-Vivarais (1ère semaine)
et de Vernoux à Saint-Alban-sur-Limagnole (2ème semaine)