…S'INSÈRE, SINCÈRE…
Etape 5 / Vendredi 1er mai 2015 / De Tournon-sur-Rhône à Champis / 21 km
Les premières pentes du Massif Central que je vais gravir aujourd’hui vont donner de la hauteur à ma poursuite intérieure. Cette première rude montée de mon pèlerinage va aussi me donner l’occasion d’éprouver ma véritable condition physique : suis-je vraiment à la hauteur de ce pèlerinage ? Ma condition physique est-elle honnêtement suffisante ? Je ne pourrai plus me mentir …
Voilà le petit David qui va rencontrer Goliath. Je redoute ce géant au regard caché derrière son heaume, son armure étincelante, son glaive si acéré, moi David à tête nue, en simple tunique, et avec ma fronde si dérisoire ! La vérité va sortir, non pas de la bouche d’un enfant, mais de la déclivité agressive d’un vieux et grand massif !
Ah ! Regarder la vérité en face ! Qu’il est dur de s’approcher du miroir ! « Ne regarde pas, et continue à bien te dire que tu es beau. Et si par malheur tu t’en approches et risques un coup d’œil, fais-toi d’abord bronzer au soleil et n’oublie pas de passer chez le coiffeur ! » Me suis-je décidé plus fort que je ne suis ? Ce mâle masque est-il là pour me protéger de moi-même, m’évitant d’entacher mon ego, m’aidant à différer la vraie connaissance de ce que je suis capable ? À me forger une commode visière capable d’occulter mes impuissances passées, me suis-je mis en situation de mauvais foi, en porte à faux avec mon moi véritable ?
Cette mauvaise foi, ce mensonge à moi-même, était-ce par salutaire instinct de survie ? « Il faut me croire meilleur que je ne suis sinon je ne pourrai plus m’assumer ! » Ou n’était-ce que la triste conséquence d’une peur, que dis-je, d’une épouvante à me connaître tel que je suis ? « Vivant continuellement avec moi-même, il vaut mieux déguiser une vérité potentiellement déplaisante, ou présenter comme vérité une erreur plaisante ! »
Honnêteté … Vérité … Ne plus me cacher la réalité … Puis-je vraiment être sincère avec moi-même ? Puis-je me faire l’esclave nu d’un maître trop exigeant ? Et ce maître, peut-il se passer de son esclave ? Qui des deux sera le plus libre, du maître ou de l’esclave ? Quel sera, de ces deux personnages en moi, celui que je consentirai le mieux à dévoiler, à moi-même, aux autres ? Et admettre que le Roi est nu sera-t-il payant ? Toujours est-il que cette grimpette en Ardèche me force à faire des pas de plus en plus petits. Refuserai-je simplement de le constater en élevant mes pensées vers d’autres choses avec pour effet d’estomper mentalement ma fatigue, à défaut de la supprimer ? Ah ! Encore voiler la vérité …
Bon, hier j’ai pourfendu l’utopie du perfectionnisme, et voici qu’aujourd’hui je m’attaque au défi d’un autre absolu : la sincérité ! « Certaines vérités ne sont pas bonnes à dire », dit le dicton. « Mais tant va la cruche à l’eau qu’elle se casse », en dit un autre. Suis-je « pot de fer » ou « pot de terre » ? Que d’antinomie et de contradiction en moi !
Et si j’y ajoute les implacables préceptes moraux qu’on a voulu graver en moi, j’ai d’autres raisons de craindre la sincérité : « Suis-je vraiment capable d’aimer mon prochain comme moi-même ? Non pas, si je ne commence pas par m’aimer moi-même ! » Je voudrais bien être sincère, mais le verdict de la sincérité, me condamnant souvent à me déprécier à mes propres yeux, me remet à questionner l’existence du Dieu des Écritures.
Dieu tout-puissant, pourquoi m’as-tu fait si faible ? Dieu tout aimant, pourquoi m’as-tu fait si incertain de moi-même. Dieu de vérité, en vérité, existes-tu vraiment ? Sincèrement ? … Alors, puis-je te demander de rendre plus sûre la certitude de ton existence ? Comment t’en prier ? Les formules estampillées en moi par le catéchisme feront-elles l’affaire, un Pater et cinq Ave ? Ce serait décevant que ce soit si facile, tu mérites sûrement mieux de ma part. Sinon, je me vois déjà revenant « Gros-Jean comme devant » à mon point de départ.
Allons, pèlerin, grimpe au Sinaï, il faut affiner la vision la plus sincère que tu puisses avoir de Dieu !