…À INTROSPECTER…

Etape 3 / Mercredi 29 avril 2015 / D’Arzay à Hauterives / 25 km

 

« Toit qui pleure et toit qui rit » : la toiture dauphinoise à double pente concilie la pente rectiligne occidentale pleurant vers le sol et l’asiatique qui se relève pour sourire au ciel ! Ainsi ma marche concilie-t-elle l’effort pédestre stimulant ma cogitation, et en retour l’exercice de l’introspection fait oublier la fatigue. Je ris aux anges plutôt que de grimacer sur mes pieds !

 

Ô quiétude d’un rêve ambulant parsemé des distractions provenant du chemin, exercice libérateur de choses enfouies, propice même à la fantaisie ! Que seraient la vie ou l’amour sans la poésie ? Au lieu d’une froide approche analytique et structurée dans l’observation de ce que je découvre en marchant (« mâle » approche scientifique contrôlée), je me complais plutôt à une chaleureuse ouverture émotive et quasi extatique de ce qui défile devers moi (ravissement artistique émotif, plus « féminin » et tourneboulant !). Me revient alors la poésie de Paul Fort, Le Bonheur : « Le bonheur est dans le pré … Cours y vite, cours y vite … Le bonheur est dans le pré … Cours y vite, il va filer ! »

 

Mon attitude, en traversant une rue de bourgade, serait-t-elle celle de l’explorateur Suisse Picard qui prit sur lui le risque d’explorer les profondeurs des mers et les hauteurs de la stratosphère, ou bien serais-je encore de ceux qui s’installent bourgeoisement à la terrasse d’un café pour regarder passer pèlerins, savants et hommes d’action ? Avancer ou s’installer en retrait ? Combat vers l’avant ou retraite ?

 

De toute façon, je sais que de tout voyage, j’éliminerai plus volontiers les souvenirs d’inconfort pour en retenir les moments jouissifs. Et je sais aussi que je pourrai bien trouver plaisir à éviter le voyage réel si le récit d’un conférencier, agrémenté de sons et d’odeurs cueillis ailleurs, peut évoquer pour moi un site inconnu. J’aime regarder Thalassa à la télévision, et me rendre au marché provençal renifler les épices d’un autre monde. Ainsi, si tel roman est suffisant à m’emporter, je deviens le parasite qui s’accroche à l’auteur, et je reste bien au chaud de mon chez moi !

 

Mais, qu’est-ce cela ? Est-ce vraiment un actif « vivre ! », plutôt qu’un passif « être vécu ! » ? Pénétration ou réception ? Vivre véritablement ou survivre par procuration ? Car l’intérêt du livre, du spectacle et de l’écran, ne prend-il pas toute sa force que lorsqu’il vous transporte au loin ?

 

Est-ce ce sentiment que j’éprouve à la messe quand la ferveur des fidèles autour de moi me saisit plus que la mienne ? Mes temps les plus riches ne sont-il pas ceux où mes échappées rêveuses s’effilochent au fil d’un long sermon ? Ces sermons ne m’atteindraient-ils que de manière subliminale quant à la logique de leurs incitations morales ?

 

Pourtant, j’ai autant que possible accepté, a posteriori, d’en tirer profit pour tenter de mener une vie plus droite : me voilà encore en chemin, allant avec certain effort, si ce n’est effort certain, vers un but, évitant les détours … L’effort de la compassion, par exemple, demandant de prendre le risque d’aller se faire présent à la souffrance de l’autre, prêt à partager une peine avec peut-être la chance de l’alléger. Manière plus vertueuse de vivre par procuration !

 

À Hauterives, je redécouvre le monde naïf et délirant du Palais idéal du facteur Cheval. Lui a su vivre en poussant le pesant fardeau de ses brouettes de ciment une vie de superbes voyages imaginaires qu’il a concrétisé, bétonné (c’est le bon mot, car en anglais : béton = concrete) pour les habitants de son bourg : une monument durable, une stèle digne de l’échelle de Jacob, dressée entre le ciel et la glèbe drômoise par une ironique et mystérieuse procuration !

  

Le Palais Idéal de Hauterives

Le Palais Idéal de Hauterives

 

 


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