…EN TERRE INCONNUE…
Etape 2 / Mardi 28 avril 2015 / De Roche à Arzay / 25 km
Une vingtaine de générations a perduré en me précédant. Remontons plus loin aux civilisations qui ont influencé notre culture alpine ou rhodanienne : l’acquisition de savoirs nouveaux a été progressive. Toute nouvelle « invasion » apportait de nouvelles technologies ou compétences pour mieux vivre. Par exemple : les cheminées sarrasines, en forme de minarets, que l’on retrouve sur d’anciennes fermes de la Bresse et du Dauphiné. Elles nous viendraient des Maures : le connu des envahisseurs s’infiltrait dans l’inconnu des autochtones.
Cette infiltration graduelle, venait-elle d’un élan de vitalité propre aux autochtones, ou de l’impétuosité déferlante des allogènes ? Faut-il y voir une force intime, puisée au fond des anciens qui s’ouvraient aux nouveaux arrivants ? Ou bien une force universelle perfusée depuis l’extérieur ?
En tout cas, cette osmose s’étalait sur des siècles, au contraire de l’avalanche que nous subissons à tout moment aujourd’hui, bombardés que nous sommes de technologies et informations à pléthore. Un trop-plein de données superflues : nous voici tels des foulques submergés par l’accumulation de déchets et débris divers à la lisière d’un barrage sur le Rhône. J’ai souvent observé ce foisonnement écumeux dans lequel ces oiseaux cherchent avec angoisse de quoi se nourrir adéquatement.
Mais aussi à quel charme émollient de vicieux nouveaux niveaux de conforts ne font-ils pas rêver ? On en tombe si facilement esclave ! Ces modernités raffinées dissimulent des exigences insidieuses : tel mon ordinateur qui doit se faire protéger par des fichiers antivirus de plus en plus performants. Que de contraintes non prévues ! Ne faut-il pas perdurer dans le sévère mais sage renoncement à ces modernes miroirs aux alouettes ? Docte ignorance, serais-tu gage de survie ?
Non pas qu’il faille s’abêtir pour durer. Plutôt choisir de cultiver (avec plus d’effort) la portée élévatrice de préceptes et traditions que de sombrer (par la paresse) dans l’hypnose collective d’une gestion soi-disant « performante » du quotidien, gestion dont les outils ne sont pas toujours efficaces et souvent déstabilisants ?
Qu’il est difficile de nager à contre-courant ! Qu’il est délicat de tempérer le progrès pour dégager de durables embellies par une plus lente et plus prudente adoption d’une évolution plus mesurée ! Qui survivra ? L’Indou au million d’idoles ? Le Juif ou le Musulman au Dieu unique ? Le Cistercien lettré, savant, reclus, mais pratique et prêt à défricher ? L’Américain asservi au Dieu Dollar et faisant de la libre entreprise une doctrine sacré ? Le bédouin illettré accroupi au bord de l’oued ?
L’humain peut-il réorienter son intelligence pour vivre plus sainement, sortir du factice à force de volonté et d’engagement ? Lui dont le comportement s’apparente de plus en plus à celui d’une espèce sauvage, saurait-il se domestiquer pour atteindre une culture plus saine ? Serait-il capable d’esquiver à la destinée implacable du consumérisme ambiant ? Or, seul un être supérieur peut en domestiquer un autre…
De deux choses l’une donc : ou bien l’humanité est bien l’espèce supérieure, et n’est donc pas domesticable ; ou bien elle ne l’est pas, elle est capable de s’incliner, ce qui suppose une entité prééminente ! Cette entité est-elle un concept à forger, un véritable existant à découvrir, ou une parole révélée ? Le Dieu des Écritures, vraiment ? Ou une force cosmique réellement effective qui réussit à faire perdurer l’épopée humaine ?