DE TERRAIN CONNU…
Etape 1 / Lundi 27 avril 2015 / Des environs de Morestel à Roche / 24 km
Pour le pèlerin, au fur et à mesure que son corps se déplace en avant, ses pensées, elles, semblent reculer : lâchant l’immédiat, elles tendent à fouiller de plus en plus le passé !
Ceci est surtout vrai sur un terrain connu, là où l’évocation d’ancêtres revient plus aisément en mémoire. Alors commence tout naturellement une réflexion sur tous les ancêtres à qui nous devons nos gènes. Et si je consacre chacun de mes pas à un ancêtre, je peux remonter loin dans le temps.
Si je parcours 1700 km (la distance de Morestel à Santiago) au rythme de 1333 pas au km, j’aurai fait plus de 2'000'000 de pas au terme de mon pèlerinage. Plus de deux millions, oui ! Très exactement, j’en aurai fait 2'266'100 ! Or si je calcule que j’ai 2 parents, 4 grands-parents, 16 arrière grands-parents, etc., il me faut remonter seulement à la 21e génération pour me compter plus de 2'000'000 d’ancêtres. Très exactement : 221 = 2 097 152 !
Donc une façon de visualiser et peut-être même d’alléger son pèlerinage, c’est de se dire, je vais marcher pour et avec les 21 générations qui m’ont composé ! Chacune de ces générations a contribué à chaque gène qui compose mon ADN, certains peut-être plus que d’autres, mais qu’importe : je suis le fruit du fruit de leur fruit …
Et l’arbre généalogique à 21 étages qui domine ainsi mon existence est quelque chose d’assez effarant à imaginer, je ne crois pas être capable de le visualiser. Et pourtant je suis capable de marcher la distance qui me sépare de chacun des rameaux supérieurs, et cela je le ferai en à peu près trois mois ! Entre nous, en estimant 4 ou 5 générations par siècle, je ne reviendrai seulement qu’à mes ancêtres du Moyen-Âge, il y a 4 ou 500 ans !
Dominé par cet arbre, je suis aussi dominé par tout ce qu’on m’a inculqué, ce que l’on a voulu me transmettre dès l’enfance : ce que ces générations, l’une après l’autre, ont cru devoir confier à leur progéniture pour lui transmettre le meilleur d’elles-mêmes.
Parmi cet héritage, l’un des plus mystérieux : la religion ! Quelque chose de très dominateur, et avec quoi, dans ma jeunesse, il n’était pas question de rigoler !
Oui, la religion paraît, si elle manque de joie, et surtout si on l’impose, comme un fardeau, comme un carcan.
Beaucoup veulent s’en débarrasser, et c’est une décision bien naturelle. Pourquoi la subir ? Pourquoi l’honorer ? N’est-il pas plus facile de la rejeter, au nom de la « sacro-sainte liberté » (noter ici, de façon inattendue, le qualificatif ultra religieux de ce très laïque désir ultra républicain, accompagnant égalité et fraternité !).
Alors, un pèlerinage peut donner le temps de réinventer la nécessité ou non de cette domination. Il peut permettre de démonter, pièce par pièce, ce carcan de la religion, et de décider s’il faut les rejeter, l’une après l’autre, ou au contraire en admirer la complexité et en accepter la nécessité.